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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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moins splendide
apparence, elle serait reine à présent, puisqu’elle était destinée au roi
Jean ! Le père ne la prit pour lui que parce qu’il fut poignardé par sa beauté.
    Après qu’elle eut, en une
demi-année, fait passer son époux de la couche au tombeau, elle fut demandée en
mariage par le roi de Castille, don Pedro, que ses sujets ont surnommé le
Cruel. Elle fit répondre, un peu vite peut-être : « Une reine de France
ne se remarie point. » On l’a fort louée de cette grandeur. Mais elle se
demande à présent si ce n’est pas un bien lourd sacrifice qu’elle a consenti à
sa magnificence passée. Le domaine de Melun est son douaire. Elle y fait de
grands embellissements, mais elle peut bien changer à Noël et à Pâques les
tapis et tentures qui composent sa chambre ; c’est toujours seule qu’elle
y dort. Enfin, il y a l’autre Jeanne, la fille du roi Jean, dont le mariage n’a
eu pour effet que de précipiter les orages. Charles de Navarre l’a confiée à sa
tante et à sa sœur, jusqu’à ce qu’elle ait l’âge de la consommation du lien.
Celle-là est une petite calamité, comme peut l’être une gamine de douze ans,
qui se souvient d’avoir été veuve à six ans, et qui se sait déjà reine sans
occuper encore la place. Elle n’a rien d’autre à faire que d’attendre de
grandir, et elle attend mal, rechignant à tout ce qu’on lui commande, exigeant
tout ce qu’on lui refuse, poussant à bout ses dames suivantes et leur
promettant mille tortures le jour qu’elle sera pubère. Il faut que Madame
d’Évreux, qui ne plaisante point sur la conduite, lui allonge souvent une
gifle.
    Nos trois dames entretiennent à
Melun et à Meaux… Meaux est le douaire de Madame d’Évreux… une illusion de
cour. Elles ont chancelier, trésorier, maître de l’hôtel. De bien hauts titres
pour des fonctions fort réduites. On a surprise de trouver là nombre de gens
qu’on croyait morts, tant ils sont oubliés, sauf d’eux-mêmes. Vieux serviteurs
rescapés des règnes précédents, vieux confesseurs de rois défunts, secrétaires
gardiens de secrets éventés, hommes qui parurent puissants un moment parce
qu’ils approchaient au plus près le pouvoir, ils piétinent dans leurs souvenirs
en se donnant importance d’avoir pris part à des événements qui n’en ont plus.
Quand l’un d’eux commence : « Le jour où le roi m’a dit… » Il
faut deviner de quel roi il s’agit, entre les six qui ont occupé le trône
depuis l’orée du siècle. Et ce que le roi a dit, c’est ordinairement quelque
confidence grave et mémorable, telle que : « Il fait beau temps,
aujourd’hui, Gros-Pierre… »
    Aussi, quand survient une affaire
comme celle du roi de Navarre, c’est presque une aubaine pour la Cour des
Veuves, soudain réveillée de ses songes. Chacun de s’émouvoir, de bruire, de
s’agiter… Ajoutons que, pour les trois reines, Monseigneur de Navarre est,
entre tous les vivants, le premier dans leurs pensées. Il est le neveu
bien-aimé, le frère chéri, l’époux adoré. On aurait beau leur dire qu’en
Navarre on l’appelle le Mauvais ! Il fait tout, au demeurant, pour leur
paraître aimable, les comblant de présents, venant souvent les visiter… du
moins tant qu’il n’était pas emmuré… les égayant de ses récits, les entretenant
de ses démêlés, les passionnant pour ses entreprises, charmeur comme il peut l’être,
jouant le respectueux avec sa tante, l’affectueux auprès de sa sœur, et
l’amoureux devant sa fillette d’épouse, tout cela par bon calcul, pour les
tenir comme pièces dans son jeu.
    Après l’assassinat du connétable, et
dès que le roi Jean parut un peu calmé, elles s’en vinrent ensemble à Paris, à
la demande de Monseigneur de Navarre.
    La petite Jeanne de Valois, se
jetant aux pieds du roi, lui récita d’un bon air la leçon qu’on lui avait
enseignée : « Sire mon père, il ne se peut que mon époux ait commis
aucune traîtrise contre vous. S’il a mal agi, c’est que des traîtres l’ont
abusé. Je vous conjure pour l’amour de moi de lui pardonner. »
    Madame d’Évreux, toute pénétrée de
tristesse et de l’autorité que son âge lui confère, dit : « Sire mon
cousin, comme la plus ancienne qui porta la couronne en ce royaume, j’ose vous
conseiller et vous prier de vous accommoder à mon neveu. S’il s’est acquis des
torts envers vous, c’est que certains qui vous servent en

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