Quand un roi perd la France
écrivait au pape, il écrivait à l’Empereur, il
écrivait à tous les princes chrétiens, leur expliquant qu’il n’avait pas voulu
la mort de Charles d’Espagne, mais seulement s’en saisir pour les nuisances et
outrages qu’il avait soufferts de lui ; qu’on avait outrepassé ses ordres,
mais qu’il prenait tout à son compte et couvrait ses parents, amis et
serviteurs qui n’avaient été mus, dans le tumulte de Laigle, que par un trop
grand zèle pour son bien.
Il se donnait ainsi, ayant monté le
guet-apens comme un truand de grand chemin, les gants du chevalier.
Et surtout, il écrivait au duc de
Lancastre, qui se trouvait à Malines, et au roi d’Angleterre lui-même. Nous
eûmes connaissance de la teneur de ces lettres quand les choses
s’embrouillèrent. Le Mauvais n’y allait pas par détours. « Si vous mandez
à vos capitaines de Bretagne qu’ils soient prêts, sitôt que j’enverrai vers
eux, à entrer en Normandie, je leur baillerai bonne et sûre entrée. Veuillez
savoir, très cher cousin, que tous les nobles de Normandie sont avec moi à mort
et à vie. » Par le meurtre de Monsieur d’Espagne, notre homme s’était mis
en rébellion ; à présent il progressait en trahison. Mais en même temps,
il lançait sur le roi Jean les dames de Melun.
Vous ne savez pas qui l’on nomme
ainsi ?… Ah ! voilà qu’il pleut. Il fallait s’y attendre ; cette
pluie menaçait depuis le départ. C’est maintenant que vous allez bénir ma
litière, Archambaud, plutôt que d’avoir l’eau vous coulant dans le col, sous
votre cotte hardie, et la boue vous crottant jusqu’aux reins…
Les dames de Melun ? Ce sont
les deux reines douairières, et puis Jeanne de Valois, la petite épouse de
Charles, qui attend d’être nubile. Elles vivent toutes les trois au château de
Melun, qu’on appelle pour cela le château des Trois Reines, ou encore la Cour
des Veuves.
Il y a d’abord Madame Jeanne
d’Évreux, la veuve du roi Charles IV et la tante de notre Mauvais. Oui,
oui, elle vit toujours ; elle n’est même point si vieille qu’on croit. À
peine doit-elle avoir passé la cinquantaine ; elle a quatre ou cinq ans de
moins que moi. Il y a vingt-huit ans qu’elle est veuve, vingt-huit ans qu’elle
est vêtue de blanc. Elle a partagé le trône seulement trois ans. Mais elle
conserve de l’influence au royaume. C’est qu’elle est la doyenne, la dernière
reine de la première race capétienne. Si, sur les trois couches qu’elle fit…
trois filles, et dont une seule, la posthume, reste vivante… elle avait eu un
garçon, elle eût été reine mère et régente. La dynastie a pris fin dans son
sein. Quand elle dit : « Monseigneur d’Évreux, mon père… mon oncle
Philippe le Bel… mon beau-frère Philippe le Long… » Chacun se tait. Elle
est la survivante d’une monarchie indiscutée, et d’un temps où la France était
autrement puissante et glorieuse qu’aujourd’hui. Elle est comme une caution
pour la nouvelle race. Alors, il y a des choses qu’on ne fait point, parce que
Madame d’Évreux les désapprouverait.
En plus, on dit autour d’elle :
« C’est une sainte. » Avouons qu’il suffit de peu de chose, quand on
est reine, pour être regardée comme une sainte par une petite cour désœuvrée où
la louange tient lieu d’occupation. Madame Jeanne d’Évreux se lève avant le
jour ; elle allume elle-même sa chandelle pour ne pas déranger ses femmes.
Puis elle se met à lire son livre d’heures, le plus petit du monde à ce qu’on
assure, un présent de son époux qui l’avait commandé à un maître imagier, Jean
Pucelle. Elle prie beaucoup et fait moult aumône. Elle a passé vingt-huit ans à
répéter qu’elle n’avait point d’avenir, parce qu’elle n’avait pu enfanter un
fils. Les veuves vivent d’idées fixes. Elle aurait pu peser davantage dans le
royaume si elle avait eu de l’intelligence à proportion de sa vertu.
Ensuite, il y a Madame Blanche, la
sœur de Charles de Navarre, la seconde femme de Philippe VI, qui n’a été
reine que six mois, à peine le temps de s’habituer à porter couronne. Elle a la
réputation d’être la plus belle femme du royaume. Je l’ai vue, naguère, et je
ratifie volontiers ce jugement. Elle a vingt-quatre ans, à présent, et depuis
six ans déjà elle se demande à quoi lui servent la blancheur de sa peau, ses
yeux d’émail et son corps parfait. La nature l’eût dotée d’une
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