Quand un roi perd la France
eurent envers lui et
qu’il a pu croire que vous l’abandonniez à ses ennemis. Mais lui-même ne
nourrit à votre endroit, je vous l’assure, que des pensées de bonne et loyale
affection. Ce serait vous nuire à tous deux que de poursuivre cette discorde… »
Madame Blanche ne dit rien du tout.
Elle regarda le roi Jean. Elle sait qu’il ne peut pas oublier qu’elle devait
être sa femme. Devant elle, cet homme haut et lourd, si tranchant en son
ordinaire, devient tout hésitant. Ses yeux la fuient, sa parole s’embarrasse.
Et toujours en sa présence, il décide le contraire de ce qu’il croit vouloir.
Aussitôt après cette entrevue, il
désigna le cardinal de Boulogne, l’évêque de Laon, Robert Le Coq, et Robert de
Lorris, son chambellan, pour négocier avec son gendre et lui faire bonne paix.
Il prescrivit que les choses fussent menées rondement. Elles le furent en
vérité puisque, une semaine avant la fin de février, les négociateurs des deux
parties signèrent accord, à Mantes. Jamais, de ma mémoire, on ne vit traité si
aisément obtenu et hâtivement conclu.
Le roi Jean fit bien montre, en
l’occasion, de ses bizarreries de caractère et de son peu de suite aux
affaires. Le mois précédent, il ne songeait qu’à saisir et occire Monseigneur
de Navarre ; à présent, il consentait à tout ce que celui-ci souhaitait.
Venait-on lui dire que son gendre réclamait le Clos de Cotentin, avec Valognes,
Coutances et Carentan ? Il répondait : « Donnez-lui,
donnez-lui ! » La vicomté de Pont-Audemer et celle d’Orbec ?
« Donnez, puisqu’on veut que je m’accorde à lui. » Ainsi Charles le
Mauvais reçut-il également le gros comté de Beaumont, avec les châtellenies de
Breteuil et de Conches, tout cela qui avait constitué autrefois la pairie du
comte Robert d’Artois. Belle revanche, post mortem , pour Marguerite de
Bourgogne ; son petit-fils reprenait les biens de l’homme qui l’avait
perdue. Comte de Beaumont ! Il exultait, le jeune Navarre. Lui-même, par
ce traité, ne cédait presque rien ; il rendait Pontoise, et puis il
confirmait solennellement qu’il renonçait à la Champagne, ce qui était chose établie
depuis plus de vingt-cinq ans.
De l’assassinat de Charles
d’Espagne, on ne parlerait plus. Ni châtiment, même des comparses, ni
réparation. Tous les complices de la Truie-qui-file, et qui dès lors
n’hésitèrent plus à se nommer, reçurent des lettres de quittance et rémission.
Ah ! ce traité de Mantes ne fut
pas pour grandir l’image du roi Jean. « On lui tue son connétable ;
il donne la moitié de la Normandie. Si on lui tue son frère ou son fils, il
donnera la France. » Voilà ce que les gens disaient.
Le petit roi de Navarre, lui, ne
s’était pas montré malhabile. Avec Beaumont, en plus de Mantes et d’Évreux, il
pouvait isoler Paris de la Bretagne ; avec le Cotentin, il tenait des
voies directes vers l’Angleterre.
Aussi, quand il vint à Paris pour
prendre son pardon, c’était lui qui avait l’air de l’accorder.
Oui ; que dis-tu,
Brunet ?… Oh ! cette pluie ! Mon rideau est tout trempé… Nous
arrivons à Bellac ? Fort bien. Ici au moins nous sommes assurés d’un gîte
confortable, et l’on y serait sans excuse de ne pas nous faire grande
réception. La chevauchée anglaise a épargné Bellac, d’ordre du prince de
Galles, parce que c’est le douaire de la comtesse de Pembroke, qui est une
Châtillon-Lusignan. Les hommes de guerre vous ont de ces gentillesses…
Je vous achève, mon neveu,
l’histoire du traité de Mantes. Le roi de Navarre parut donc à Paris comme s’il
avait gagné bataille, et le roi Jean, à l’effet de le recevoir, tint séance du
Parlement, les deux reines veuves assises à ses côtés. Un avocat du roi vint
s’agenouiller devant le trône… oh ! tout cela avait grand air… « Mon
très redouté Seigneur, Mesdames les reines Jeanne et Blanche ont entendu que
Monsieur de Navarre est en votre malgrâce et vous supplient de lui pardonner… »
Sur ce, le nouveau connétable,
Gautier de Brienne, duc d’Athènes… oui, un cousin de Raoul, l’autre branche des
Brienne ; cette fois, on n’avait pas choisi un jeunot… s’en alla prendre
Navarre par la main… « Le roi vous pardonne, pour l’amitié des reines, de
bon cœur et de bonne volonté. »
À quoi, le cardinal de Boulogne eut
charge d’ajouter bien haut : « Qu’aucun du lignage du roi ne
s’aventure
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