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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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en Espagne, comme en
Allemagne, l’an commence le jour de Noël ; à Venise, le I er mars ; en Angleterre, le 25. Si bien que lorsque plusieurs pays sont
parties à un traité conclu au printemps, on ne sait jamais de quelle année on
parle. Imaginez qu’une trêve entre la France et l’Angleterre ait pu être signée
dans les jours d’avant Pâques ; pour le roi Jean, elle serait datée de
l’an 1355 et pour les Anglais de 1356. Oh ! je vous le concède volontiers,
c’est chose la plus bête qui soit ; mais nul ne veut revenir sur ses
habitudes, même détestables, et l’on dirait que les notaires, tabellions,
prévôts et toutes gens d’administration prennent plaisir à s’encroûter dans des
difficultés qui égarent le commun.
    Nous en arrivons, vous disais-je, à
cette fin du mois de mars où le roi Jean eut une grande colère… Contre son
gendre, bien sûr. Oh ! reconnaissons que les motifs de déplaisir ne lui
manquaient pas. Aux États de Normandie, assemblés au Vaudreuil par-devant son
fils devenu le nouveau duc, il s’était dit de rudes paroles à son endroit,
comme jamais on n’en avait ouï auparavant, et c’étaient les députés de la
noblesse, montés par les Évreux-Navarre, qui les avaient proférées. Les deux
d’Harcourt, l’oncle et le neveu, étaient les plus violents, à ce qu’on m’a
dit ; et le neveu, le gros comte Jean, s’était emporté jusqu’à
crier : « Par le sang Dieu, ce roi est mauvais homme ; il n’est
pas bon roi, et je me garderai de lui. » Cela était revenu, vous imaginez
bien, aux oreilles de Jean II. Et puis, aux nouveaux États de Langue
d’oïl, qui s’étaient tenus à la suite, les députés de Normandie n’étaient point
venus. Refus de paraître, tout bonnement. Ils ne voulaient plus s’associer aux
aides et subsides, ni les payer. D’ailleurs, l’assemblée eut à constater que la
gabelle et l’imposition sur les ventes n’avaient point produit ce qu’on en
attendait. Alors on décida d’y substituer un impôt sur le revenu vaillant, en
bout d’année où l’on se trouvait.
    Je vous laisse à penser comme la
mesure fut bien prise, d’avoir à payer au roi une part de tout ce qu’on avait
reçu, perçu ou gagné, au fil de l’an, et souvent déjà dépensé… Non, cela ne fut
point appliqué au Périgord, ni nulle part en Langue d’oc. Mais je sais des
personnes de chez nous qui sont passées à l’Anglais par peur, simplement, que
la mesure ne leur fût étendue. Cet impôt sur le revenu vaillant, joint à
l’enchérissement des vivres, provoqua de l’émeute en diverses places, et
surtout Arras, où le menu peuple s’insurgea ; et le roi Jean dut envoyer
son connétable, avec plusieurs compagnies de gens d’armes, pour charger ces
meneurs… Non, certes, tout cela ne lui offrait guère raisons de se réjouir.
Mais si gros ennuis qu’il ait, un roi doit conserver empire sur soi-même. Ce
qu’il ne fit pas en l’occasion que voici.
    Il était à l’abbaye de Beaupré-en-Beauvaisis
pour le baptême du premier né de Monseigneur Jean d’Artois, comte d’Eu depuis
qu’il a été gratifié des biens et titres de Raoul de Brienne, le connétable
décapité… Oui, c’est cela même, le fils du comte Robert d’Artois, auquel il
ressemble fort d’ailleurs, par la tournure. Quand on le voit, on en est
saisi ; on croit voir le père, à son âge. Un géant, une tour qui marche.
Les cheveux rouges, le nez bref, les joues piquées de soies de porc, et des
muscles qui lui joignent d’un trait la mâchoire à l’épaule. Il lui faut, pour
sa remonte, des chevaux de fardier, et lorsqu’il charge, harnaché en bataille,
il vous fait des trous dans une armée. Mais là s’arrête la semblance. Pour
l’esprit, c’est le contraire. Le père était astucieux, délié, rapide, malin,
trop malin. Celui-là a la cervelle comme un mortier de chaux, et qui a bien
pris. Le comte Robert était procédurier, comploteur, faussaire, parjure,
assassin. Le comte Jean, comme s’il voulait racheter les fautes paternelles, se
veut modèle d’honneur, de loyauté et de fidélité. Il a vu son père déchu et
banni.
    Lui-même, en son enfance, a un peu
séjourné en prison, avec sa mère et ses frères. Je crois qu’il n’est point
encore accoutumé au pardon qu’il a reçu, et à son retour en fortune. Il regarde
le roi Jean comme le Rédempteur en personne. Et puis il est ébloui de porter le
même prénom. « Mon cousin

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