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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Jean… mon cousin Jean… »
    Ils se balancent du cousin Jean
toutes les trois paroles. Les hommes de mon âge, qui ont connu Robert d’Artois,
même s’ils ont eu à souffrir de ses entreprises, ne peuvent se défendre d’un
certain regret en voyant la bien pâle copie qu’il nous a laissée. Ah !
c’était un autre gaillard, le comte Robert ! Il a rempli son temps de ses
turbulences. Quand il mourut, on eût dit que le siècle tombait dans le silence.
Même la guerre semblait avoir perdu de sa rumeur. Quel âge aurait-il à
présent ? Voyons… bah… autour de soixante-dix ans. Oh ! il avait de
la force pour vivre jusque-là, si une flèche perdue ne l’avait abattu, dans le
camp anglais, au siège de Vannes… Tout ce qu’on peut dire, c’est que les
preuves de loyauté que multiplie le fils n’ont pas eu pour la couronne meilleur
effet que les trahisons du père.
    Car ce fut Jean d’Artois qui, juste
avant le baptême, et comme pour remercier le roi du grand honneur de son
parrainage, lui révéla le complot de Conches, ou ce qu’il croyait être un
complot.
    Conches… oui, je vous l’ai dit… un
des châteaux autrefois confisqués à Robert d’Artois et que Monseigneur de
Navarre s’est fait donner par le traité de Valognes. Mais il reste là-bas
quelques vieux serviteurs des d’Artois qui leur sont toujours attachés.
    De la sorte, Jean d’Artois put
chuchoter au roi… un chuchotement qui s’entendait à l’autre bout du bailliage…
que le roi de Navarre s’était réuni à Conches avec son frère Philippe, les deux
d’Harcourt, l’évêque Le Coq, Friquet de Fricamps, plusieurs sires normands de
vieille connaissance, et encore Guillaume Marcel, ou Jean… enfin l’un des
neveux Marcel… et un seigneur qui arrivait de Pampelune, Miguel d’Espelette, et
qu’ils auraient tous ensemble comploté d’assaillir par surprise le roi Jean, à
la première fois que celui-ci se rendrait en Normandie, et de l’occire.
Était-ce vrai, était-ce faux ? Je pencherais à croire qu’il y avait un peu
de vrai là-dedans, et que sans être allés jusqu’à mettre la conjuration sur
pied, ils avaient envisagé la chose. Car elle est bien dans la manière de
Charles le Mauvais qui, ayant manqué l’opération dans la grandeur en allant
chercher appui auprès de l’empereur d’Allemagne, ne répugnait sans doute pas à
l’accomplir dans la vilenie, en répétant le coup de la Truie-qui-file. Il
faudra attendre d’être devant le tribunal de Dieu pour connaître le fond de la
vérité.
    Ce qui est sûr, c’est qu’on avait
beaucoup discuté à Conches, pour savoir si l’on se rendrait à Rouen, dans une
semaine de là, le mardi d’avant la mi-carême, au festin auquel le Dauphin, duc
de Normandie, avait prié tous les plus importants chevaliers normands, pour
tenter de s’accorder avec eux. Philippe de Navarre conseillait qu’on
refusât ; Charles au contraire était enclin à accepter. Le vieux Godefroy
d’Harcourt, celui qui boite, était contre, et le disait bien fort. D’ailleurs,
lui qui s’était brouillé avec feu le roi Philippe VI pour une affaire de
mariage où l’on avait contrarié ses amours, ne se regardait plus tenu par aucun
lien de vassalité envers la couronne. « Mon roi, c’est l’Anglais »,
disait-il.
    Son neveu, l’obèse comte Jean, que
le fumet d’un banquet eût traîné à l’autre bout du royaume, penchait pour y
aller. À la fin, Charles de Navarre dit que chacun en ferait à son gré, que
lui-même se rendrait à Rouen avec ceux qui le voudraient, mais qu’il approuvait
autant les autres de ne point paraître chez le Dauphin, et que même c’était
sagesse qu’il y en eût dans le retrait, car jamais il ne fallait mettre tous
les chiens dans le même terrier.
    Une chose encore fut rapportée au
roi qui pouvait étayer le soupçon de complot. Charles de Navarre aurait dit
que, si le roi Jean venait à mourir, aussitôt il rendrait public son traité
passé avec le roi d’Angleterre, par lequel il le reconnaissait pour roi de
France, et qu’il se conduirait en tout comme son lieutenant dans le royaume.
    Le roi Jean ne demanda pas de
preuves. Le premier soin d’un prince doit être de toujours faire vérifier la
délation, et la plus plausible aussi bien que la plus incroyable. Mais notre
roi manque tout à fait de cette prudence. Il gobe comme œufs frais tout ce qui
nourrit ses rancunes. Un esprit plus rassis eût écouté, et puis

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