Quand un roi perd la France
différence avec le roi, et seulement deux avec le Dauphin.
Le roi s’était fait escorter du
maréchal d’Audrehem, de ses seconds chambellans, Jean d’Andrisel et Guy de La
Roche, parce qu’il avait expédié à Rouen, quelques jours plus tôt, Lorris et
Nicolas Braque, sous le prétexte qu’il les prêtait au Dauphin pour veiller aux
préparatifs de son banquet.
Qui y avait-il encore derrière le
roi ? Oh ! il avait bien constitué sa troupe. Il emmenait les frères
d’Artois, Charles et l’autre… « mon cousin Jean »… qui lui collait à
la croupe et dépassait de la tête toute la chevauchée, et encore Louis
d’Harcourt, qui était en brouille avec son frère et son oncle Godefroy, et
tenait à cause de cela le parti du roi. Je vous passe les écuyers de chasse et
les veneurs, les Corquilleray, Huet des Ventes, et autres Maudétour.
Dame ! le roi allait chasser et voulait en donner l’apparence ; il
montait son cheval de chasse, un napolitain vite, brave et bien embouché qu’il
affectionne particulièrement. Nul ne pouvait s’étonner qu’il fût suivi des
sergents de sa garde étroite, commandés par deux gaillards fameux pour la
grosseur de leurs muscles, Enguerrand Lalemant et Perrinet le Buffle. Ces
deux-là vous retournent un homme rien qu’en le prenant par la main… Il est bon
qu’un roi ait toujours autour de lui une garde rapprochée. Le Saint-Père a la
sienne. J’ai mes hommes de protection, moi aussi, qui chevauchent au plus près
de ma litière, comme vous avez dû vous en aviser. Je suis tellement accoutumé à
eux que je finis par ne plus les voir ; mais eux ne me quittent pas des
yeux.
Ce qui eût pu surprendre, mais il
aurait fallu avoir le regard bien ouvert, c’était que les valets de la chambre,
sans doute Tassin et Poupart le Barbier, portaient, pendus à leur selle, le
heaume, la cervelière, la grande épée, tout le harnais de bataille du roi. Et
puis aussi la présence du roi des ribauds, un bonhomme qui se nomme… Guillaume…
Guillaume je ne sais plus quoi… et qui non seulement veille à la police des
bordels, dans les villes où le roi réside, mais est chargé de la justice
directe du roi. Il y a davantage de travail dans cette charge depuis que
Jean II est au trône.
Avec les écuyers des ducs, les
varlets, le domestique de tous ces seigneurs et les piquiers embarqués à
Gisors, cela faisait bien deux cents cavaliers, dont beaucoup hérissés de
lances, un bien gros équipage pour aller buissonner le chevreuil.
Le roi avait pris la direction de
Chaumont-en-Vexin mais jamais on ne le vit passer dans ce bourg. Sa troupe
s’évanouit en route comme par un tour d’enchanteur. Il avait fait couper à
travers la campagne pour remonter droit au nord, sur Gournay-en-Bray où il ne
s’attarda guère, juste le temps de prendre le comte de Tancarville, un des
rares grands seigneurs de Normandie qui soit resté de ses féaux parce qu’il est
comme chien à chien avec les d’Harcourt. Un Tancarville stupéfait, car il
attendait là, entouré de vingt chevaliers de sa bannière, le maréchal
d’Audrehem, mais nullement le roi.
« Mon fils le Dauphin ne vous
avait-il pas convié demain à Rouen, messire comte ? – Oui,
Sire ; mais le mandement que j’ai reçu de messire le maréchal, qui venait
inspecter les forteresses de ce pays, m’a dispensé de paraître dans une
compagnie où beaucoup de visages m’auraient fort déplu. – Eh bien !
vous irez quand même à Rouen, Tancarville, et je vais vous instruire de ce que
nous y allons faire. »
Sur quoi, toute la chevauchée pique
vers le sud, dans la nuit tombante, une petite trotte, trois ou quatre lieues,
mais qui s’ajoutent aux dix-huit parcourues depuis le matin, pour aller dormir
dans un château fort bien écarté, en bordure de la forêt de Lyons.
Les espies du roi de Navarre, s’il
en avait par là, devaient être bien en peine de lui dire où courait le roi de
France, sur ce chemin haché, et pour y quoi faire… on a vu le roi qui partait
chasser… le roi est à inspecter les forteresses…
Le roi était debout avant l’aurore,
plein de hâte et de fièvre, pressant son monde, et déjà en selle pour foncer,
cette fois au plus droit, à travers la forêt de Lyons. Ceux qui voulaient
manger un quignon de pain et une tranche de lard durent le faire d’une main,
les rênes au creux du bras, de l’autre main tenant leur lance, tout en
trottant.
Elle est dense et longue, la
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