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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cherché à
rassembler renseignements et témoignages au sujet de ce traité secret qui
venait de lui être révélé. Et si, de cette présomption, il avait pu faire
vérité, il eût alors été bien fort contre son gendre.
    Mais lui, dans l’instant, prit la
chose pour certifiée ; et c’est tout enflammé de colère qu’il entra dans
l’église. Il y eut, m’a-t-on dit, une conduite étrange, n’entendant point les
prières, prononçant tout de travers les répons, regardant chacun d’un air
furieux et jetant sur le surplis d’un diacre la braise d’un encensoir auquel il
s’était heurté. Je ne sais trop comment fut baptisé le rejeton des
d’Artois ; mais, avec un semblable parrain, je crois qu’il faudra bien
vite faire renouveler ses vœux à ce petit chrétien-là, si l’on veut que le bon Dieu
l’ait en miséricorde.
    Et dès l’issue de la cérémonie, ce
fut l’ouragan. Jamais les moines de Beaupré n’entendirent tant de jurons
affreux, comme si le diable s’était venu loger dans la gorge du roi. Il
pleuvait, mais Jean II n’en avait cure. Pendant toute une grande heure et
alors qu’on avait déjà corné l’eau du dîner, il se fit saucer en arpentant le
jardin des moines, battant les flaques de ses poulaines… ces ridicules
chaussures que le beau Monseigneur d’Espagne et lui mirent en mode… et forçant
toute sa suite, messire Nicolas Braque, son maître de l’hôtel, et messire de
Lorris, et les autres chambellans, et le maréchal d’Audrehem et le grand Jean
d’Artois, tout éberlué et penaud, à se tremper avec lui. Il se gâta là pour des
milliers de livres de velours, de broderies et de fourrures. « Il n’y a
nul maître en France hors moi, hurlait le roi. Je ferai qu’il crève, ce
mauvais, cette vermine, ce blaireau pourri qui conspire ma fin avec tous mes
ennemis. Je m’en vais l’occire moi-même. Je lui arracherai le cœur de mes
mains, et je partagerai son puant corps en tant de morceaux,
m’entendez-vous ? qu’il y en aura assez pour en pendre un à la porte de
chacun des châteaux que j’ai eu la faiblesse de lui octroyer. Et qu’on ne
vienne plus jamais intercéder pour lui, et qu’aucun de vous ne s’avise de me
prêcher l’accommodement. D’ailleurs, il n’y aura plus lieu de plaider pour ce
félon, et la Blanche et la Jeanne pourront se vider à faire couler leurs
larmes ; on apprendra qu’il n’y a nul maître en France, hors moi. » Et
sans cesse il revenait sur ce « nul maître en France, hors moi »,
comme s’il avait eu besoin de se persuader qu’il était le roi.
    Il se calma à demi pour demander
quand se tiendrait ce banquet que son âne de fils offrait si courtoisement à
son serpent de gendre… « Le jour de la Sainte-Irène, le 5 avril »…
« Le 5 avril, la Sainte-Irène », répéta-t-il comme s’il avait peine à
se mettre une chose si simple dans l’esprit. Il resta un moment à secouer la
tête, tel un cheval, pour égoutter ses cheveux jaunes tout collés de pluie.
« Ce jour-là, j’irai chasser à Gisors », fit-il.
    On était habitué à ses sautes
d’humeur ; chacun pensa que la colère du roi s’était épuisée en paroles et
que la chose en resterait là. Et puis advint ce qui se passa au banquet de
Rouen… Oui, mais vous ne le savez pas par le menu. Je vais vous conter cela,
mais demain ; car pour ce jour d’hui, l’heure avance, et nous devons être
proches d’arriver.
    Vous voyez, à bavarder ainsi, le
chemin paraît plus court. Pour ce soir, nous n’avons qu’à souper et dormir.
Demain, nous serons à Auxerre, où j’aurai des nouvelles d’Avignon et de Paris.
Ah ! un mot encore, Archambaud. Soyez circonspect avec Monseigneur de
Bourges, qui nous accompagne, si jamais il vous entreprend. Il ne me plaît
guère, et je ne sais pourquoi, j’ai dans l’idée que cet homme-là a des
intelligences avec le Capocci. Lancez le nom, sans paraître y toucher, et vous
me direz ce qu’il vous en semble.
     

III

VERS ROUEN
    Le roi Jean s’en fut effectivement à
Gisors, mais il n’y resta que le temps de prendre cent piquiers de la garnison.
Puis il partit bien ostensiblement par la route de Chaumont et de Pontoise,
afin que chacun pût croire qu’il rentrait à Paris. Il emmenait avec lui son
second fils, le duc d’Anjou, et puis son frère, le duc d’Orléans, lequel paraît
plutôt comme un de ses fils, car Monseigneur d’Orléans, qui a vingt ans, en
compte dix-sept de

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