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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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important de tous, le roi de
Navarre.
    Le Dauphin lui réservait toute son
attention. Il n’avait guère d’efforts à faire, d’ailleurs, du côté du gros
d’Harcourt. Celui-là ne causait qu’avec les plats, et il était bien vain de lui
adresser parole pendant qu’il engloutissait des montagnes.
    Mais les deux Charles, Normandie et
Navarre, les deux beaux-frères, parlaient beaucoup. Ou plutôt Navarre parlait.
Ils ne s’étaient guère revus depuis leur équipée manquée d’Allemagne ; et
c’était tout à fait dans la manière du Navarrais que de chercher, par
flatterie, protestations de bonne amitié, souvenirs joyeux et récits plaisants
à reprendre empire sur son jeune parent.
    Tandis que son écuyer, Colin Doublel,
déposait les mets devant lui, Navarre, rieur, charmant, plein d’entrain et de
désinvolte… « C’est la fête de nos retrouvailles ; grand merci,
Charles, de me permettre de te montrer l’attachement que j’ai pour toi ;
je m’ennuie, depuis ton éloignement… » lui rappelait leurs fines parties
de l’hiver précédent et les aimables bourgeoises qu’ils jouaient aux dés, à qui
la blonde, à qui la brune ? « … la Cassinel est grosse à présent et
nul ne doute que c’est de toi… », et de là passait aux affectueux reproches…
« Ah ! qu’es-tu allé conter tous nos projets à ton père !… Tu en
as retiré le duché de Normandie, c’est bien joué, je le reconnais. Mais avec
moi, c’est tout le royaume que tu pourrais avoir à cette heure… » pour lui
glisser enfin, reprenant son antienne : « Avoue que tu ferais un
meilleur roi que lui ! »
    Et de s’enquérir, sans avoir l’air
d’y toucher, de la prochaine rencontre entre le Dauphin et le roi Jean, si la
date en était arrêtée, si elle aurait lieu en Normandie… « J’ai ouï dire
qu’il était à chasser du côté de Gisors. »
    Or il trouvait un Dauphin plus
réservé, plus secret que par le passé. Affable certes, mais sur ses gardes, et
ne répondant que par sourires ou inclinaisons de tête à tant d’empressement.
    Soudain, il se produisit un grand
fracas de vaisselle qui domina les voix des dîneurs. Mitton le Fol, qui
s’employait à singer les huissiers de cuisine en présentant un merle, tout
seul, sur le plus grand plat d’argent qu’il avait pu trouver, Mitton venait de
laisser tomber le plat. Et il ouvrait la bouche toute grande, en désignant la
porte.
    Les bons chevaliers normands, déjà
fortement abreuvés, s’amusaient du tour qu’ils jugeaient fort drôle. Mais leurs
rires se coincèrent aussitôt dans leur gorge.
    Car de la porte surgissait le
maréchal d’Audrehem, tout armé, tenant son épée droite, la pointe en l’air, et
qui leur criait de sa voix de bataille : « Que nul d’entre vous ne
bouge pour chose qu’il voit, s’il ne veut mourir de cette épée ».
    Ah ! mais, ma litière est
arrêtée… Eh oui, nous voici arrivés ; je ne m’en avisais point. Je vous
dirai la suite après souper.
     

V

L’ARRESTATION
    Grand merci, messire abbé, je suis
votre obligé… Non, de rien, je vous l’assure, je n’ai plus besoin de rien…
seulement que l’on me remette quelques bûches au feu… Mon neveu va me faire
compagnie ; j’ai à m’entretenir avec lui. C’est cela, messire abbé, la
bonne nuit. Merci des prières que vous allez dire pour le Très Saint-Père et
pour mon humble personne… oui, et toute votre pieuse communauté… L’honneur est
pour moi. Oui, je vous bénis ; le bon Dieu vous ait en Sa sainte garde…
    Ououh ! Si je le lui avais
permis, il nous aurait tenus jusqu’à la minuit, cet abbé-là ! Il a dû
naître le jour de la Saint-Bavard…
    Voyons, où en étions-nous ? Je
ne veux point vous laisser languir. Ah oui… le maréchal, l’épée haute…
    Et derrière le maréchal surgirent
une douzaine d’archers qui rabattirent brutalement échansons et valets contre
les murs ; et puis Lalemant et Perrinet le Buffle, et sur leurs talons le
roi Jean II lui-même tout armé, heaume en tête, et dont les yeux jetaient
du feu par la ventaille levée. Il était suivi de près par Chaillouel et Crespi,
deux autres sergents de sa garde étroite.
    « Je suis piégé », dit
Charles de Navarre.
    La porte continuait de dégorger
l’escorte royale dans laquelle il reconnaissait quelques-uns de ses pires
ennemis, les frères d’Artois, Tancarville…
    Le roi marcha droit vers la table
d’honneur. Les seigneurs

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