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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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raconter son exploit… C’est celui-là même… vous voyez, son nom vous est
parvenu… oui, d’un seul coup d’épée, un Turc fendu en deux, sous les yeux du
roi de Chypre. À chaque récit qu’il recommence, l’entaille augmente d’un pouce.
Un jour il aura aussi fendu le cheval…
    Mais je reviens au Dauphin Charles.
Il sait, ce garçon, à quoi sa naissance et son rang l’obligent ; il sait
pourquoi Dieu l’a fait naître, la place que la Providence lui a assignée, au
plus haut de l’échelle des hommes, et que, sauf à mourir avant son père, il
sera roi. Il sait qu’il aura le royaume à gouverner souverainement ; il
sait qu’il sera la France. Et si dans le secret de soi il s’afflige que Dieu ne
lui ait pas dispensé, en même temps que la charge, la robustesse qui l’aiderait
à la bien porter, il sait qu’il doit pallier les insuffisances de son corps par
une bonne grâce, une attention à autrui, un contrôle de son visage et de ses
propos, un air tout ensemble de bienveillance et de certitude qui jamais ne
laissent oublier qui il est, et se composer de la sorte une manière de majesté.
Cela n’est point chose aisée, quand on a dix-huit ans et que la barbe vous
pousse à peine !
    Il faut dire qu’il y a été entraîné
de bonne heure. Il avait onze ans quand son grand-père le roi Philippe VI
parvint enfin à racheter le Dauphiné à Humbert II de Vienne. Cela effaçait
quelque peu la défaite de Crécy et la perte de Calais. Je vous ai dit après
quelles négociations… Ah ! je croyais… Vous voulez donc en savoir le
menu ?
    Le Dauphin Humbert était aussi
gonflé d’orgueil que perclus de dettes. Il désirait vendre, mais continuer à
gouverner quelque partie de ce qu’il cédait, et que ses États après lui
restassent indépendants. Il avait d’abord voulu traiter avec le comte de
Provence, roi de Sicile ; mais il monta le prix trop haut. Il se retourna
alors vers la France, et c’est là que je fus appelé à m’occuper des
tractations. Dans un premier accord, il céda sa couronne mais seulement pour
après sa mort… il avait perdu son unique fils… partie au comptant, cent vingt
mille florins s’il vous plaît, et partie en pension viagère. Avec cela, il eût
pu vivre à l’aise. Mais au lieu d’éteindre ses dettes, il dissipa tout ce qu’il
avait reçu en allant chercher la gloire à combattre les Turcs. Harcelé par ses
créanciers, il lui fallut alors vendre ce qui lui restait, c’est-à-dire ses
droits viagers. Ce qu’il finit par accepter, pour deux cent mille florins de
plus et vingt-quatre mille livres de rente, mais non sans continuer de faire le
superbe. Heureusement pour nous, il n’avait plus d’amis.
    C’est moi, je le dis modestement,
qui trouvai l’accommodement par lequel on put satisfaire à l’honneur d’Humbert
et de ses sujets. Le titre de Dauphin de Viennois ne serait pas porté par le
roi de France, mais par l’aîné des petits-fils du roi Philippe VI et
ensuite par son aîné fils. Ainsi les Dauphinois, jusque-là indépendants,
gardaient l’illusion de conserver un prince qui ne régnait que sur eux. C’est
la raison pour laquelle le jeune Charles de France, ayant reçu l’investiture à
Lyon, eut à accomplir, au long de l’hiver de 1349 et du printemps de 1350, la
visite de ses nouveaux États. Cortèges, réceptions, fêtes. Il n’avait, je vous
le répète, que onze ans. Mais avec cette facilité qu’ont les enfants d’entrer
dans leur personnage, il prit l’habitude d’être accueilli dans les villes par
des vivats, d’avancer entre des fronts courbés, de s’asseoir sur un trône
tandis qu’on se hâtait de lui glisser sous les pieds assez de carreaux de soie
pour qu’ils ne pendissent pas dans le vide, de recevoir en ses mains l’hommage
des seigneurs, d’écouter gravement les doléances des villes. Il avait surpris
par sa dignité, son affabilité, le bon sens de ses questions. Les gens s’attendrissaient
de son sérieux ; les larmes venaient aux yeux des vieux chevaliers et de
leurs vieilles épouses lorsque cet enfant les assurait de son amour et de son
amitié, les louait de leurs mérites et leur disait compter sur leur fidélité.
De tout prince, la moindre parole est objet de gloses infinies par lesquelles
celui qui l’a reçue se donne importance. Mais d’un si jeune garçon, d’une
miniature de prince, quels récits émus ne provoquait pas la plus simple
phrase ! « À cet âge, on

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