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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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que
l’adversaire n’avait pas relevé son défi.
    Il décida donc de revenir vers
Chartres pour y dissoudre l’ost. Au passage, il reprendrait Breteuil.
    Audrehem lui remontra que la
garnison laissée à Breteuil par Lancastre était nombreuse, bien commandée et
bien retranchée. « Je connais la place, Sire ; on ne l’enlève pas
facilement. – Alors pourquoi les nôtres s’en sont-ils laissé
déloger ? lui répondit le roi Jean. Je conduirai le siège moi-même. »
    Et c’est là, mon neveu, que je le
rejoignis, en compagnie de Capocci, le 12 juillet.
     

II

LE SIEGE DE BRETEUIL
    Le roi Jean nous reçut armé en
guerre, comme s’il allait lancer l’assaut dans la demi-heure. Il nous baisa
l’anneau, nous demanda nouvelles du Saint-Père, et, sans écouter la réponse un
peu longue, dissertante et fleurie, dans laquelle Niccola Capocci s’était
engagé, il me dit : « Monseigneur de Périgord, vous arrivez à point
pour assister à un beau siège. Je sais la vaillance qu’on a dans votre famille,
et qu’on y est expert aux arts de la guerre. Les vôtres toujours ont très
hautement servi le royaume, et si vous n’étiez prince d’Église, vous seriez
sans doute maréchal à mon ost. Je gage qu’ici vous allez prendre
plaisir. »
    Cette manière de ne s’adresser qu’à
moi, et pour me complimenter sur ma parentèle, déplut au Capocci, qui n’est pas
de très haut lignage, et qui crut bon de dire que nous n’étions pas là pour
nous émerveiller de prouesses de guerre, mais pour parler de paix chrétienne.
    Je sus aussitôt que les choses
n’iraient guère entre mon colégat et le roi de France, surtout quand ce dernier
eut vu mon neveu Robert de Durazzo auquel il fit force amitiés, le questionnant
sur la cour de Naples et sur sa tante la reine Jeanne. Il faut dire qu’il était
très beau, mon Robert, tournure superbe, visage rose, cheveux soyeux… la grâce
et la force tout ensemble. Et je vis poindre dans l’œil du roi cette étincelle
qui ordinairement luit au regard des hommes quand passe une belle femme.
« Où prendrez-vous vos quartiers ? » demanda-t-il. Je lui dis que
nous nous accommoderions dans une abbaye voisine.
    Je l’observai bien, et le trouvai
assez envieilli, épaissi, alourdi, le menton plus pesant sous la barbe peu
fournie, d’un jaune pisseux. Et il avait pris l’habitude de balancer la tête,
comme s’il était gêné au col ou à l’épaule par quelque limaille dans sa chemise
d’acier.
    Il voulut nous montrer le camp, où
notre arrivée avait produit quelque remous de curiosité. « Voici Sa Sainte
Éminence Monseigneur de Périgord qui nous est venu visiter », disait-il à
ses bannerets, comme si nous étions venus tout exprès pour lui porter l’aide du
ciel. Je distribuai les bénédictions. Le nez de Capocci s’allongeait de plus en
plus.
    Le roi tenait beaucoup à me faire
connaître le chef de son engeignerie auquel il semblait accorder plus
d’importance qu’à ses maréchaux ou même son connétable. « Où est
l’Archiprêtre ?… A-t-on vu l’Archiprêtre ?… Bourbon, faites appeler
l’Archiprêtre… » Et je me demandais ce qui pouvait bien valoir le surnom
d’archiprêtre au capitaine qui commandait les machines, mines et artillerie à
poudre.
    Étrange bonhomme que celui qui vint
à nous, monté sur de longues pattes arquées prises dans des jambières et des
cuissots d’acier ; il avait l’air de marcher sur des éclairs. Sa ceinture,
très serrée sur le surcot de cuir, lui donnait une tournure de guêpe. De
grandes mains aux ongles noirs et qu’il tenait écartées du corps, à cause des
cubitières de métal qui lui protégeaient les bras. Une gueule assez louche,
maigre, aux pommettes saillantes, aux yeux étirés, et l’expression goguenarde
de quelqu’un qui est toujours prêt à s’offrir pour un quart de sol la figure
d’autrui. Et pour coiffer le tout, un chapeau de Montauban, à larges bords,
tout en fer, avançant en pointe au-dessus du nez, avec deux fentes pour pouvoir
regarder à travers quand il baissait la tête. « Où étais-tu
l’Archiprêtre ? On te cherchait », dit le roi qui précise à mon
intention : « Arnaud de Cervole, sire de Vélines. – Archiprêtre,
pour vous servir… Monseigneur cardinal… », ajoute l’autre d’un ton moqueur
qui ne me plaît guère.
    Et soudain, je me rappelle… Vélines,
c’est de chez nous, Archambaud… bien sûr, près de

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