Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
Saint-Père, si vous voulez, m’a supprimé ma commande
pour le bon ordre de l’Église… ah ! c’est ce que l’évêque m’a dit. Eh quoi ?
Croit-il donc qu’il n’y avait pas d’ordre à Vélines, avant lui ? La cure
des âmes, messire cardinal, vous pensez que je ne l’exerçais point ? Il
aurait fait beau voir qu’un agonisant trépassât sans les sacrements. À la
moindre maladie, j’envoyais le tonsuré. Ça se paye, les sacrements. Et les gens
qui passaient devant ma justice : amende. Ensuite, à confesse ; et la
taxe de pénitence. Les adultères, la même chose. Je sais comment ça se mène,
moi, les bons chrétiens. » Je lui disais : « L’Église a perdu un
archiprêtre, mais le roi a gagné un bon chevalier. » Car Jean II
l’avait armé chevalier, l’an passé.
    Tout n’est pas mauvais, dans ce
Cervole. Il a, pour parler des bords de notre Dordogne, des accents tendres qui
surprennent. L’eau verte de la vaste rivière où se reflètent nos manoirs, le
soir, entre les peupliers et les frênes ; les prairies grasses au
printemps, la chaleur sèche des étés qui fait mûrir les orges jaunes ; les
soirs qui sentent la menthe ; les raisins de septembre où nous mordions,
enfants, dans des grappes chaudes… Si tous les hommes de France aimaient leur
terre autant que l’aime cet homme-là, le royaume serait mieux défendu.
    Je finis par comprendre les raisons
de la faveur donc il jouissait. D’abord, il avait rejoint le roi dans la
chevauchée de Saintonge, en 51, une petite équipée, mais qui avait permis à
Jean II de croire qu’il serait un roi victorieux. L’Archiprêtre lui avait
amené sa troupe, vingt armures et soixante sergents de pied. Comment les
avait-il pu rassembler, à Vélines ? Toujours est-il que cela formait une
compagnie. Mille écus d’or, réglés par le trésorier des guerres, pour le
service d’une année… Cela permettait au roi de dire : « Nous sommes
compagnons de longtemps, n’est-ce pas vrai, l’Archiprêtre ? »
    Ensuite, il avait servi sous
Monsieur d’Espagne, et, malin, ne manquait jamais de le rappeler devant le roi.
C’était même sous les ordres de Charles d’Espagne, dans la campagne de 53,
qu’il avait chassé les Anglais de son propre château de Vélines et des terres
avoisinantes, Montcarret, Montaigne, Montravel… Les Anglais tenaient Libourne
et y avaient grosse garnison d’archers. Mais lui, Arnaud de Cervole, tenait
Sainte-Foy et n’était pas disposé à se la laisser enlever… « Je suis
contre le pape parce qu’il m’a ôté mon archiprêtrise ; je suis contre
l’Anglais parce qu’il a ravagé mon château ; je suis contre le Navarrais
parce qu’il a occis mon connétable. Ah ! que n’ai-je été à Laigle, auprès
de lui, pour le défendre ! »… C’était baume pour les oreilles du roi.
    Et puis, enfin, l’Archiprêtre
excelle aux nouveaux engins à feu. Il les aime, il les apprivoise, il s’en
amuse. Rien ne lui plaît tant, il me l’a dit, que d’allumer une mèche, après de
souterraines préparations, et de voir une tour de château s’ouvrir comme une
fleur, comme un bouquet, projetant en l’air hommes et pierres, piques et
tuiles. À cause de cela, il est entouré, sinon d’estime, du moins d’un certain
respect ; car beaucoup, parmi les plus hardis chevaliers, répugnent à
s’approcher de ces armes du diable que lui manie comme en se jouant. Il y a des
gens ainsi, chaque fois qu’apparaissent de nouveaux procédés de guerre, qui en
ont le sens immédiat et se font une réputation de leur emploi. Alors que les
valets d’armes, les mains sur les oreilles, courent à mettre à l’abri, et que
même les barons et les maréchaux reculent prudemment, Cervole, une lumière
amusée dans l’œil, regarde rouler les barils de poudre, donne des ordres nets,
enjambe les fougasses, se coule dans les sapes en rampant sur ses cubitières,
ressort, bat tranquillement le briquet, prend son temps pour gagner un angle
mort ou s’accroupir derrière un muret, tandis que part le tonnerre, que la
terre tremble et que les murs s’entrouvrent.
    Pareilles tâches exigent des équipes
solides. Cervole a formé la sienne ; des brutes habiles, des amateurs de
massacre, ravis de répandre la terreur, de briser, de détruire. Il les paye
bien ; car le risque vaut salaire. Et il va flanqué de ses deux
lieutenants qu’on croirait choisis pour leurs noms : Gaston de la Parade
et Bernard

Weitere Kostenlose Bücher