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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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terme d’une courte chevauchée
normande qui n’avait pas été pour lui un gros triomphe, c’est le moins qu’on
puisse dire.
    Le duc de Lancastre, je vous le
rappelle, débarque en Cotentin le 18 juin. Soyez attentif aux dates ;
elles ont de l’importance, en l’occurrence… Les astres ? Ah, non, je n’ai
pas étudié particulièrement les astres de ce jour-là. Ce que je voulais dire, c’est
qu’à la guerre, le temps et la rapidité comptent autant et parfois plus que le
nombre des troupes.
    Dans les trois jours, il fait sa
jonction, à l’abbaye de Montebourg, avec les détachements du continent, celui
que Robert Knolles, un bon capitaine, amène de Bretagne, et celui qu’a levé
Philippe de Navarre. Qu’alignent-ils à eux trois ? Philippe de Navarre et
Godefroy d’Harcourt n’ont guère avec eux plus d’une centaine de chevaliers.
Knolles fournit le plus fort contingent : trois cents hommes d’armes, cinq
cents archers, pas tous anglais d’ailleurs ; il y a là des Bretons qui
viennent avec Jean de Montfort, prétendant au duché contre le comte de Blois
qui est l’homme des Valois. Enfin, Lancastre compte à peine cent cinquante
armures et deux cents archers, mais il a une grosse remonte de chevaux.
    Lorsque le roi Jean II connut
ces chiffres, il eut un grand rire qui le secoua de la panse aux cheveux.
Pensait-on l’effrayer avec cette piteuse armée ? Si c’était là tout ce que
son cousin d’Angleterre pouvait réunir, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter
grandement. « J’avais bien raison, vous voyez, Charles, mon fils, vous
voyez, Audrehem, de ne pas craindre de mettre mon gendre en geôle ; oui,
j’avais bien raison de me moquer des défis de ces petits Navarre, puisqu’ils ne
peuvent produire que si maigres alliés. »
    Et il se donnait gloire d’avoir, dès
le début du mois, appelé l’ost à Chartres. « N’était-ce pas bonne
prévoyance, qu’en dites-vous, Audrehem, qu’en dites-vous, Charles, mon
fils ? Et vous voyez qu’il suffisait de convoquer le ban, et non
l’arrière-ban. Qu’ils courent, ces bons Anglais, qu’ils s’enfoncent dans le
pays. Nous allons fondre sur eux et les jeter dans la bouche de Seine. »
    On l’avait rarement vu si joyeux,
m’a-t-on dit, et je le veux bien croire. Car ce perpétuel battu aime la guerre,
au moins en rêve. Partir, donner des ordres du haut de son destrier, être obéi,
enfin ! car à la guerre les gens obéissent… en tout cas au départ ;
laisser les soucis de finance ou de gouvernement à Nicolas Braque, à Lorris, à
Bucy et aux autres ; vivre entre hommes, plus de femmes dans
l’entourage ; bouger, bouger sans cesse, manger en selle, à grosses
bouchées, ou bien sur un talus de route, à l’abri d’un arbre déjà chargé de
petits fruits verts, recevoir le rapport des éclaireurs, prononcer de grandes
paroles que chacun ira répétant… « Si l’ennemi a soif, il boira son
sang »… poser la main sur l’épaule d’un chevalier qui en rougit d’aise…
« Jamais las, Boucicaut… ta bonne épée fourmille, noble Coucy ! »…
    Et pourtant, a-t-il remporté une
seule victoire ? Jamais. À vingt-deux ans, désigné par son père comme chef
de guerre en Hainaut… ah ! la belle appellation : chef de
guerre !… il s’est remarquablement fait découdre par les Anglais. À
vingt-cinq ans, avec un plus beau titre encore, à croire qu’il les
invente : seigneur de la conquête… il a coûté fort cher aux populations du
Languedoc, sans réussir, en quatre mois de siège, à s’emparer d’Aiguillon, au
confluent du Lot et de la Garonne. Mais à l’entendre, tous ses combats furent
prouesses, quelque triste issue ils aient eue. Jamais homme ne s’est acquis
tant d’assurance dans l’expérience de la défaite.
    Cette fois, il faisait durer son
plaisir.
    Le temps, pour lui, d’aller prendre
l’oriflamme à Saint-Denis et, sans se presser, de gagner Chartres, déjà le duc
de Lancastre, passé au sud de Caen, franchissait la Dives et s’en venait dormir
à Lisieux. Le souvenir de la chevauchée d’Édouard III, dix ans plus tôt,
et surtout du sac de Caen, n’était pas effacé. Des centaines de bourgeois occis
dans les rues, quarante mille pièces de drap raflées, tous les objets précieux
enlevés pour l’outre-manche, et l’incendie de la ville évité de justesse…
certes non, la population normande n’avait pas oublié et elle montrait plutôt
de

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