Quand un roi perd la France
l’empressement à laisser passer les archers anglais. D’autant plus que
Philippe d’Évreux-Navarre et messire Godefroy d’Harcourt faisaient bien savoir
que ces Anglais étaient des amis. Le beurre, le lait et les fromages étaient
abondants, le cidre gouleyant ; les chevaux dans ces prés gras ne
manquaient pas de fourrage. Après tout, nourrir mille Anglais, un soir, coûtait
moins cher que payer au roi, toute l’année ronde, sa gabelle, son fouage, et
son impôt de huit deniers à la livre sur les marchandises.
À Chartres, Jean II trouva son
ost moins rassemblé et moins prêt qu’il ne le croyait. Il comptait sur une
armée de quarante mille hommes. À peine en dénombrait-on le tiers. Mais
n’était-ce pas assez, n’était-ce pas déjà trop en regard de l’adversaire qu’il
devait affronter ? « Eh, je ne paierai point ceux qui ne se sont pas
présentés ; ce sera tout avantage. Mais je veux qu’on leur adresse
remontrances. »
Le temps de s’installer dans son
tref fleurdelisé et d’expédier ces remontrances… « Quand le roi veut,
chevalier doit »… le duc de Lancastre, lui, était à Pont-Audemer, un fief
du roi de Navarre. Il délivrait le château, qu’un parti français assiégeait
vainement depuis plusieurs semaines, et renforçait un peu la garnison
navarraise, à laquelle il laissait du ravitaillement pour un an ; puis,
piquant au sud, il allait piller l’abbaye du Bec-Hellouin.
Le temps, pour le connétable, duc
d’Athènes, de mettre un peu d’ordre dans la cohue de Chartres… car ceux qui
s’étaient présentés piétinaient les blés nouveaux depuis trois semaines et
commençaient à s’impatienter… le temps surtout d’apaiser les discordes entre
les deux maréchaux, Audrehem et Jean de Clermont, qui se haïssaient de bon
cœur, et Lancastre déjà était sous les murs du château de Conches dont il
délogea les gens qui l’occupaient au nom du roi. Et puis il y mit le feu. Ainsi
les souvenirs de Robert d’Artois et ceux, plus frais, de Charles le Mauvais
s’en allèrent en fumée. Il ne porte pas bonheur, ce château-là… Et Lancastre se
dirigea sur Breteuil. À part Évreux, toutes les places que le roi avait voulu
saisir dans le fief de son gendre étaient reprises l’une après l’autre.
« Nous écraserons ces méchants
à Breteuil », dit fièrement Jean II quand son armée put enfin
s’ébranler. De Chartres à Breteuil, il y a dix-sept lieues. Le roi voulut qu’on
les couvrît en une seule étape. Dès midi, il paraît qu’on commença d’égrener
des traînards. Quand les hommes parvinrent, fourbus, à Breteuil, Lancastre n’y
était plus. Il avait enlevé la citadelle, pris la garnison française et installé
en sa place une troupe solide, commandée par un bon chef navarrais, Sanche
Lopez, auquel il laissait, là aussi, du ravitaillement pour un an.
Prompt à se consoler, le roi Jean
s’écria : « Nous les taillerons à Verneuil ; n’est-ce pas mes
fils ? » Le Dauphin n’osait dire ce qu’il m’a confié ensuite, à
savoir qu’il lui semblait absurde de poursuivre mille hommes avec près de
quinze mille. Il ne voulait point paraître moins assuré que ses frères cadets
qui tous se modelaient sur leur père et faisaient les ardents, y compris le
plus jeune, Philippe, qui n’a que quatorze ans.
Verneuil au bord de l’Avre ;
l’une des portes de la Normandie. La chevauchée anglaise y était passée la
veille, tel un torrent ravageur. Les habitants virent arriver l’armée française
comme un fleuve en crue.
Messire de Lancastre sachant ce qui
déferlait vers lui, se garda bien de pousser vers Paris. Emmenant le gros butin
qu’il avait fait en chemin, ainsi qu’un beau nombre de prisonniers, il reprit
prudemment la route de l’ouest… « Sur Laigle, sur Laigle, ils sont partis
sur Laigle », indiquèrent les vilains. Entendant cela, le roi Jean se
sentit marqué par l’attention divine. Vous voyez bien pourquoi… Mais non,
Archambaud, pas à cause de l’oiseau… Ah ! vous y êtes… À cause de la
Truie-qui-file… le meurtre de Monsieur d’Espagne… Là où avait été perpétré le
crime, là même le roi arrivait pour accomplir le châtiment. Il ne permit pas à
son armée de dormir plus de quatre heures. À Laigle, il allait rejoindre les
Anglais et Navarrais, et ce serait l’heure, enfin, de sa vengeance.
Ainsi, le neuf juillet, ayant fait
halte devant le seuil de la Truie-qui-file, le
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