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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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temps d’y ployer sa genouillère
de fer… étrange spectacle pour l’armée que celui d’un roi en prière et en
pleurs sur une porte d’auberge !… il apercevait enfin les lances de
Lancastre, à deux lieues de Laigle, en lisière de la forêt de Tubœuf… Tout
cela, mon neveu, venait de se passer quand on me le conta, trois jours après.
    « Lacez heaumes, formez
batailles », cria le roi.
    Alors, pour une fois d’accord, le
connétable et les deux maréchaux s’interposèrent. « Sire, déclara rudement
Audrehem, vous m’avez toujours vu ardent à vous servir… – Et moi aussi,
dit Clermont. – … mais ce serait folie de nous engager sur-le-champ. Il ne
faut plus demander un seul pas à vos troupes. Depuis quatre jours vous ne leur
donnez point de répit, et ce jour même vous les avez menées avec plus grande
hâte que jamais. Les hommes sont hors de souffle, voyez-les donc ; les
archers ont les pieds en sang et s’ils n’avaient leur pique pour se soutenir,
ils s’écrouleraient sur le chemin même. – Ah ! cette piétaille,
toujours, qui ralentit tout ! » dit Jean II irrité. « Ceux
qui chevauchent ne valent pas mieux, lui répliqua Audrehem. Maintes montures
sont blessées au garrot par leur charge, et maintes autres boitent, qu’on n’a
pu referger. Les hommes d’armure, à tant aller par la chaleur qu’il fait, ont
le cul saignant. N’attendez rien de vos bannières, avant qu’elles n’aient pris
repos. – Outre quoi, Sire, renchérit Clermont, voyez en quel territoire
nous irions attaquer. Nous avons devant nous une forêt dense, où Messire de
Lancastre s’est retrait. Il aura toute aisance de faire échapper son parti,
cependant que nos archers vont s’empêtrer en taillis et nos lances charger les
troncs d’arbres. »
    Le roi Jean eut un moment d’humeur
méchante, pestant contre les hommes et les circonstances qui faisaient échec à
sa volonté. Puis il prit une de ces décisions surprenantes pour lesquelles ses
courtisans l’appellent le Bon, afin que leur flatterie lui soit répétée.
    Il envoya ses deux premiers écuyers,
Pluyan du Val et Jean de Corquilleray, vers le duc de Lancastre pour lui porter
défi et lui demander bataille. Lancastre se tenait dans une clairière, ses
archers disposés devant lui, tandis que des éclaireurs, partout, observaient
l’armée française et repéraient des chemins de repli. Le duc aux yeux bleus vit
donc arriver devers lui, escortés de quelques gens d’armes, les deux écuyers
royaux qui arboraient pennon fleurdelisé à la hampe de leur lance, et qui
soufflaient en cornet comme des hérauts de tournoi. Entouré de Philippe de
Navarre, de Jean de Montfort et de Godefroy d’Harcourt, il écouta le discours
suivant, que lui tint Pluyan du Val.
    Le roi de France arrivait à la tête
d’une immense armée, alors que le duc n’en avait qu’une petite. Aussi
proposait-il audit duc de s’affronter le lendemain, avec un même nombre de
chevaliers de part et d’autre, cent, ou cinquante, ou même trente, dans un lieu
à convenir, et selon toutes les règles de l’honneur.
    Lancastre reçut courtoisement les
propositions du roi « qui se disait de France », mais n’en était pas
moins partout réputé pour sa chevalerie. Il assura qu’il envisagerait la chose
avec ses alliés, qu’il désignait de la main, car elle était trop sérieuse pour
en décider seul. Les deux écuyers crurent pouvoir déduire de ces paroles que
Lancastre donnerait réponse le lendemain.
    C’est sur cette assurance que le roi
Jean commanda de dresser son tref et plongea dans le sommeil. Et la nuit des
Français fut celle d’une armée ronflante.
    Au matin, la forêt de Tubœuf était
vide. On y voyait des traces de passage, mais plus d’Anglais ni de Navarrais.
Lancastre avait prudemment replié son monde vers Argentan.
    Le roi Jean II laissa éclater
son mépris pour ces ennemis sans loyauté, seulement bons au pillage quand ils
n’avaient personne devant eux, mais qui s’éclipsaient dès qu’on leur offrait
combat. « Nous portons l’Étoile sur le cœur, tandis que la Jarretière leur
bat le mollet. Voilà ce qui nous distingue. Ce sont les chevaliers de la
fuite. »
    Mais songea-t-il à les prendre en
chasse ? Les maréchaux proposaient de jeter les bannières les plus
fraîches sur la voie de Lancastre ; à leur surprise, Jean II repoussa
l’idée. On eût dit qu’il considérait la bataille gagnée dès lors

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