Quand un roi perd la France
lui
parler des conditions de la paix !
L’Espagnol et l’Écossais n’étaient
pas seuls à contempler l’énorme tour de bois. Les gens de messire Sanche Lopez
la regardaient aussi, avec prudence, car l’Archiprêtre avait monté d’autres
machines qui arrosaient copieusement la garnison de balles de pierre et de
traits à poudre. Le château était pour ainsi dire décoiffé. Mais les gens de
Lopez n’avaient pas l’air tellement effrayés. Ils ménageaient des trous dans
leurs propres murailles, à mi-hauteur. « Pour mieux pouvoir fuir »,
disait le roi.
Enfin le grand jour arriva. J’y fus,
un peu en retrait sur une petite butte, car la chose m’intéressait. Le
Saint-Siège a des troupes, et des villes qu’il nous faut pouvoir défendre… Le
roi Jean II paraît, coiffé de son heaume couronné de fleurs d’or. De son
épée flamboyante, il donne le signe de l’attaque, tandis que les trompes
sonnent. Au sommet de la tour tendue de cuir flotte la bannière aux fleurs de
lis, et, au-dessous, les bannières des troupes qui occupent les trois étages.
C’est un bouquet d’étendards que ce beffroi ! Et voilà qu’il se meut.
Hommes et chevaux lui sont attelés, par grappes, et l’Archiprêtre scande
l’effort à grands coups de gueule… On m’a dit avoir employé pour mille livres
de cordes de chanvre. L’engin progresse, très lentement avec des gémissements
de bois et quelques oscillations, mais il progresse. De le voir ainsi avancer,
se balançant un peu et tout hérissé de drapeaux, on dirait un navire qui va à
l’abordage. Et il aborde, en effet, dans un grand tumulte. Déjà, on se bat sur
les créneaux, à hauteur de la troisième plate-forme. Les épées se croisent, les
flèches partent en vols serrés. L’armée qui enserre le château, tout entière
tête levée, a le souffle suspendu. Là-haut se font de beaux exploits. Le roi,
la ventaille ouverte, assiste, superbe, à ce combat dans les airs.
Et puis soudain, un énorme fracas
fait sursauter les troupes, et un jet de fumée enveloppe les bannières, au
sommet du beffroi.
Messire de Lancastre avait laissé
des bouches de canon à don Sanche Lopez, que celui-ci s’était bien gardé
d’utiliser jusqu’à présent. Et voilà que ces bouches, par les trous ménagés
dans la muraille, tirent à bout portant dans la tour roulante, crevant les
peaux de bœufs qui la recouvrent, fauchant des rangées d’hommes sur les
plates-formes, brisant les pièces de charpente.
Les balistes et les catapultes de
l’Archiprêtre ont beau se mettre de la partie, elles ne peuvent empêcher qu’une
deuxième salve ne soit tirée, puis une troisième. Ce ne sont plus seulement des
boulets de fonte, mais aussi des pots enflammés, des sortes de feux grégeois
qui viennent frapper le beffroi. Les hommes tombent, en hurlant, ou se ruent à
dévaler les échelles, ou même se lancent dans le vide, affreusement brûlés. Les
flammes commencent à jaillir du toit de la belle machine. Et puis, dans un
craquement d’enfer, le plus haut étage s’effondre, écrasant ses occupants sous
un brasier… De ma vie, Archambaud, je n’ai entendu plus effroyable clameur de
souffrance ; et encore je n’étais pas au plus près. Les archers étaient
pris dans un enchevêtrement de poutres incandescentes. Poitrines défoncées,
leurs jambes, leurs bras cramaient. Les peaux de bœufs, en brûlant, répandaient
une odeur atroce. La tour se mit à pencher, à pencher, et alors qu’on croyait
qu’elle allait s’écrouler, elle s’immobilisa, inclinée, flambant toujours. On y
jeta de l’eau comme on put, on s’affaira à en retirer les corps écrasés ou
brûlés, tandis que les défenseurs du château dansaient de joie sur les
murailles en criant : « Saint Georges loyauté ! Navarre
loyauté ! »
Le roi Jean, devant ce désastre,
semblait chercher autour de lui un coupable, alors qu’il n’y en avait d’autre
que lui-même. Mais l’Archiprêtre était là, sous son chapeau de fer, et la
grande colère qui allait éclater resta dans le heaume royal. Car Cervole était
sans doute le seul homme de toute l’armée qui n’eût pas hésité à dire au
roi : « Voyez votre ânerie, Sire. Je vous avais conseillé de creuser
des mines, plutôt que de bâtir ces grands échafauds qui ne sont plus d’usage
depuis bientôt cinquante ans. On n’est plus au temps des Templiers, et Breteuil
n’est pas Jérusalem. »
Le roi demanda
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