Quelque chose en nous de Michel Berger
Eric Clapton, de la trilogie magique de Bob Dylan ( Bringing It All Back Home , Highway 61 Revisited , Blonde on Blonde ), du Freak Out ! des Mothers of Invention, de Fifth Dimension des Byrds, d’ Otis Blue, des « Élucubrations » d’Antoine, des « Cactus » de Dutronc et de « L’amour avec toi » de Polnareff, n’est pas suffisamment puissante pour être audible dans cette explosion de sons et de couleurs incomparable des Golden Sixties. À la télévision, deretour d’un voyage aux États-Unis où Daniel Filipacchi l’a introduit à New York auprès des frères Ertegun qui dirigent le légendaire label Atlantic, il déclare : « Les Américains sont très enthousiastes, ils se réunissent pour parler de Bob Dylan. J’ai compris leur avance, et j’ai déchiré tout ce que j’avais fait. »
Lorsque ces titres de jeunesse seront (en partie) réédités en 1986 dans l’album Les Filles des autres, il sera furieux. « C’est scandaleux. Seule la photo d’époque présente un intérêt quelconque. C’est vraiment nul d’avoir fait ça. Il s’agit purement de l’utilisation commerciale d’un nom. Je trouve ça vraiment moche. » D’autant qu’il n’aime pas se réentendre. « Quand je vais donner des interviews dans des radios libres, on me fait le plan : “On vous a préparé une surprise, vous ne vous doutez pas de ce dont il s’agit…” Tu parles ! À chaque fois, j’y ai droit. Comme cela ne m’intéresse absolument pas, je me contente de sourire poliment. »
Le précieux, référentiel et unique volume Spécial Pop (Albin Michel, 1967) lui réserve toutefois une place dans l’histoire en cours : « Il avait pourtant de solides atouts dans son jeu : de bonnes études musicales (piano, guitare, solfège), un intérêt éclairé pour le jazz et le rhythm’n’blues, un bon talent de compositeur, des dons certains de vocaliste. Il n’a pourtant jamais réussi à s’imposer tout à fait. Il n’a encore que vingt ans. » Toujours pour s’amuser, il est, comme Jacques Pradel et deux autres Michel futurs chanteurs, Fugain et Sardou, un des très nombreux figurants qui apparaissent dans Paris, brûle-t-il ?, dans le rôle furtif du « chef des explosifs ».
Mais si Berger décide alors de mettre un terme à sa carrière d’interprète yéyé au moment où celui-ci cède la place à la pop music, ça n’est pas par manque de reconnaissance. « Ça avait très bien marché, maiscomme tout marchait, ça ne prouve rien. » Le soutien de l’émission phare et sa relation privilégiée avec « Oncle Dan » comme avec Jean-Marie Périer vont toutefois avoir une conséquence marquée au sceau de l’histoire. Le 12 avril 1966 à seize heures, au studio des Acacias de Roland de Vassal, en pull rouge à côté de Dick Rivers, à l’extrême gauche, il figure sur la photo historique du numéro cent de Salut les copains, assis sur les gradins parmi toutes les légendes de la décennie (dont France Gall, Françoise Hardy et Johnny qu’il produira), les oreilles méchamment dégagées. « Comme Gainsbourg, fait-il remarquer avec le recul. C’étaient des stars et moi, j’étais un mec qui avait une chanson qui marchait. Mais il ne me semble pas que France avait déjà beaucoup de succès. Elle en était à ses débuts. Les grands, c’étaient Hallyday, Lucky Blondo, Danyel Gérard, Adamo. D’ailleurs, sur le poster, tu as dû remarquer que Johnny était sur une marche, un peu plus haut que les autres. Quant à moi, je ne savais pas encore exactement où j’allais. Je cherchais. »
Puzzle
Incroyablement, Michel Berger décide alors, à dix-neuf ans, d’arrêter sa carrière de chanteur. Il passe son bac (avec un an de retard pour avoir redoublé sa septième), s’inscrit en fac à Nanterre pour retarder son départ au service militaire (il sera réformé à Vincennes, où Franka et sa mère lui apportent du Toblerone), et se lance dans la philosophie parce que son voisin de terminale en est féru. « En mai soixante-huit, je terminais mes études. Je défendais ma maîtrise de philo : « Esthétique de la pop music ». Je faisais une étude comparative des deux derniers albums de Jimi Hendrix pour un professeur terrorisé qui me disait : “Oui, tout ce que vous voulez, 18/20, mais partez tout de suite.” » Peu de directeurs de recherches à l’époque possèdent, c’est sûr, les marqueurs culturels et les outils philologiques nécessaires à comprendre les différences –
Weitere Kostenlose Bücher