Quelque chose en nous de Michel Berger
essentielles – entre Are You Experienced ? et Axis : Bold as Love .
La faculté française n’est pas soigneuse : il n’existe aucun répertoire national des mémoires universitaires, et la plupart des archives concernant la musique ne remontent pas jusqu’en 1968. Résultat, le manuscrit en est perdu. Ses amis de l’époque se souviennent de son profond académisme, de sa sensibilité théorique, s’attachant à la manière dont le rock raconte la société,crash-test sur la vision sociale. « Il est resté habité par le rôle social, culturel, donc politique, de la musique pop, assure Pierre Lescure encore aujourd’hui. Il a toujours eu ce désir de montrer que la musique est noble, à l’instar de la littérature, du cinéma. »
Les ondes hexagonales retentissent alors de deux hymnes existentiels très différents, interprétés par deux chanteurs aussi atypiques dans la chanson française que typiques de cette période à tous les sens échevelée : « La cavalerie » de Julien Clerc, avec son fameux slogan utopiste griffé Étienne Roda-Gil (« Abolir l’ennui »), et « Animal, on est mal » de l’étudiant drugstorien des Arts déco Gérard Manset, qui a raté son bac en raison d’un zéro éliminatoire en français dû à une orthographe déplorable. « Nous étions une petite dizaine de directeurs artistiques chez Pathé Marconi, 19, rue Lord-Byron, en haut des Champs-Élysées, dont Bob Socquet qui s’occupait de Julien Clerc, signé en même temps que moi. J’y avais un bureau et Nadine, ma femme, était ma secrétaire, avant de devenir celle du président, François Mainchin. Berger n’avait pas de bureau fixe sur place, et devait passer par elle chaque fois qu’il avait besoin de quelque chose : une avance, un budget, etc. Il était timide, très bien élevé, un peu en retrait, il lui arrivait d’être gonflant parce qu’il ramait beaucoup. Mais il ne faisait vraiment chier personne. » Sa mère lui apporte tous les jours son goûter à quatre heures, ce qui déclenche inévitablement les railleries de ses voisins, plus indépendants. Bernard Saint-Paul les rejoint cette année-là. « Nous partagions au cinquième étage quatre minuscules bureaux séparés par de minables cloisons. Nous nous répartissions le répertoire local entre cinq directeurs artistiques : Claude-Michel Schönberg, Gérard Manset,Bob Socquet, Michel Berger et moi (j’étais le dernier arrivé, imposé par Salvatore Adamo). Michel était réservé, un peu condescendant et maniéré, attitude sans doute héritée de son éducation élitiste, entretenue dans l’art. »
Dès 1966, en effet, Michel a accepté la proposition de Jacques Sclingand de devenir directeur artistique. On lui promet les pleins pouvoirs mais, de fait, il se retrouve au sein d’un mini Brill Building à la française, où, en sus de Manset, Bob Socquet-Clerc, Philippe Constantin, Maxime Schmitt, Bernard Saint-Paul et Patrice Blanc-Francard, il rejoint le Vannetais Claude-Michel Schönberg, autre aspirant qui connaîtra plus tard le succès en chantant « Le premier pas » et composera la comédie musicale française la plus jouée dans le monde, Les Misérables . Tous deux partagent la responsabilité de la recherche et la production des « nouveaux talents ». Ils sont encore loin d’être les pendants français de Carole King et Gerry Goffin, Doc Pomus et Mort Shuman, Leiber et Stoller, Cynthia Weil et Barry Mann, Ellie Greenwich et Jeff Barry, Phil Spector, Paul Simon, Al Kooper, Neil Diamond, Laura Nyro et autres auteurs, compositeurs et producteurs de génie qui se tirent la bourre quotidiennement au légendaire 1619 Broadway, mais ils en rêvent. Ils y croient. Et veulent tout faire : découvrir, écrire, composer, arranger, réaliser, produire, maquetter, marketer, promouvoir.
Évidemment, en lieu et place de la vista, de la faculté de narration et de contextualisation, et de métastase de la sensibilité autofictionnée des juifs new-yorkais fascinés par la puissance du melting-pot culturel et la spontanéité de la musique afro-américaine, Hamburger et Schönberg vont se trouver confrontés à la rigidité autosatisfaite du « métier » parisien. Sans parler des limites comparatives des interprètesqu’ils ont sous la main, dans une société gaulliste momifiée où l’enseignement de la musique est quasi inexistant en dehors de la haute bourgeoisie (Annette Haas fonde en septembre 1963 le Conservatoire municipal du
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