Quelque chose en nous de Michel Berger
et entrent dans son habitation. France envisage de l’adopter tant elle redoute qu’il meure, mais Michel la convainc de ne pas l’arracher à sa mère démunie. « Quand je suis rentrée il y a un an et demi d’un voyage au Sénégal que j’avais fait avec Lionel Rotcage à travers Action Écoles, une mère m’a donné son bébé qu’elle ne pouvait pas élever parce qu’elle n’avait pas d’argent. J’ai refusé cet enfant parce que je ne voulais pas le déraciner et je voyais en plus qu’elle l’adorait. Je suis revenue à Paris, où je me suis culpabilisée pendant des mois et des mois : j’ai raconté cette histoire à Michel et, quand il a commencé à écrire l’album, un des premiers textes a été “Babacar”, qui raconte cette histoire. Depuis un mois j’ai retrouvé cet enfant alors que je m’angoissais depuis dix-huitmois parce que je ne savais pas ce qu’il était devenu, et j’avais peur. »
Ils le retrouvent en effet à Dakar, où ils tentent de financer son éducation et de permettre à sa mère de devenir couturière, à l’occasion du tournage d’un clip réalisé par Michel. « Babacar », la chanson qui porte son nom, sera un énorme succès, comme l’album éponyme, disque de diamant, donc vendu à plus d’un million d’exemplaires à l’époque, et largement exporté en terres germaniques.
« La chanson d’Azima (quand le désert avance) », écrite à Tombouctou, exprime la désillusion, les bras qui retombent, le découragement qui survient devant l’immensité de la misère et des complexités géopolitiques de l’Afrique. « Sur ce titre, on avait travaillé un son de guitare très aigre, une rythmique très agressive, dissèque Janik Top. À son retour de déjeuner, Michel m’avait appelé dans le couloir pour me demander de revenir en arrière, parce qu’il sentait que ce son allait prendre trop d’importance, et ne servait pas la chanson. Il restait toujours le patron : plus on allait loin, plus il pouvait redoser et prendre plus de matière. Un vrai producteur, comme il y en a peu, avec un très bon ego, simple, ce qui est rarissime chez quelqu’un qui est aussi un artiste. »
Sur l’île de N’Gor, seulement accessible en pirogue, dont elle s’est entichée et où elle séjourne encore de nos jours, France est « La Négresse blonde », ainsi baptisée par les habitantes – sans quoi cette chanson serait on ne peut plus embarrassante aujourd’hui, foin des fantaisies (fantasmes ?) littéraires de Georges Fourest. L’album contient encore « Papillon de nuit », dessiné sur la pochette par Pauline, et puis, bien sûr, « Ella, elle l’a ». Cela fait dix ans que Michel cherche à accoucher de ce morceau, lui, l’amateur de jazz qui l’a pourtant proscrit de sa propre musique, sansdoute parce que ce compositeur-né ne se sait pas à même d’improviser. France, elle, a toujours chanté du jazz, en général sur le quatrième titre des EPs souvent navrants de ses années soixante, accompagnée par les ténors français du genre que sont Eddy Louiss, Pierre Michelot et Alain Goraguer. Les lecteurs dubitatifs sont invités à écouter « Jazz à gogo » et « Le cœur qui jazze », où elle scate, et où, si on a le droit de ne pas aimer son timbre strident, elle montre qu’elle n’a rien de moins, techniquement, que Nougaro ou Jonasz, que personne ne songe à critiquer. « Je pourrais encore maintenant chanter toutes les voix de tous les morceaux des Swingle Singers du temps où Quincy Jones produisait leurs disques », rappelle-t-elle alors à Rotcage. Pour le journal de huit heures de Guillaume Durand, sur Europe, elle m’explique : « Un album, c’est fait des sentiments qu’on ressent, des choses qu’on aime ou qu’on vit, et puis Ella Fitzgerald a bercé mon enfance. Elle est une parmi d’autres qui m’ont donné envie de chanter : j’ai commencé à faire des disques en chantant du jazz et aujourd’hui, elle est malade, en train de mourir de ne plus chanter : ça me fait de la peine et j’ai eu envie de lui rendre un hommage avant qu’elle disparaisse. Ça surprend certains. Je crois qu’il y a des gens qui ne me connaîtront jamais et puis d’autres qui savent que j’aime les chansons qui balancent et que je suis à l’aise dedans, que c’est la musique que je préfère. On fait avec tout le monde. »
Avec ses cuivres pétaradants et son optimisme contagieux, ce sera un succès monumental, troisième plus grosse vente
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