Quelque chose en nous de Michel Berger
savait pourquoi il était là. Il demande timidement à Michel : “Est-ce que vous m’écririez une chanson ?” Michel lui répond : “Une chanson non, mais un album oui.” » À partir de là, France, Nathalie Baye, Jean-Claude Camus, veillent sur leurs rencontres, qui se poursuivent à l’hôpital américain de Neuilly après l’accident cardiaque de l’idole sur scène, en plein « Bon vieux temps du rock’n’roll », le 8 janvier. « La blouse de l’infirmière » naîtra de la visite de Michel, qui constate à cette occasion la vigueur du convalescent, rare occasion pour ce garçon pudique et élégant de laisser transparaître une imagination virile, même si c’est pour la mettre dans une bouche moins châtiée.
Ce n’est pas l’unique sujet de conversation de ces deux garçons au père enfui, toutefois, comme le raconte Johnny dans son autobiographie, Destroy (Michel Lafon, 2000). « Je lui parle de mon doute, de mon déracinement, de ma solitude, de mes errances aux États-Unis. Je lui parle des livres que je lis actuellement. La Chatte sur un toit brûlant et les nouvelles de Tennessee Williams… et je ne crains pas de me confier à lui. » Plus tard, il spécifiera leur alchimie à la télévision : « Michel était quelqu’un de très réfléchi, très sage, très doux, alors que je suis tumultueux, colérique. Lui est prudent. Il était là pour me tempérer, moi pour le pousser un peu. James Dean a été le premier personnage rock, la première image de l’adolescence. Il nous avait marqués tous les deux.On a parlé de Kazan, des films de cette époque-là, et on en est arrivé à Tennessee Williams. »
« Quelque chose de Tennessee », le classique de l’album, constitue une espèce de miracle. Cette chanson humaniste sur un dramaturge dépravé et homosexuel du Mississippi, deux fois lauréat du Prix Pulitzer et inspirateur à sa manière de Hubert Selby, Lou Reed et Tom Waits, fin chroniqueur de la solitude délétère et des atmosphères familiales et sexuelles marécageuses, se confond dans l’univers de Johnny avec l’état du même (pré)nom, où Elvis rime avec Memphis, tout ce beau monde se retrouvant à la dérive le long du Mississippi pour rejoindre le tramway de Saint-Charles qu’il avait nommé Désir à la recherche de Marlon Brando et de James Dean dans les bouges de La Nouvelle-Orléans. Un magma imaginaire fertile comme la boueuse plaine du Delta, de là d’où vient cette musique qui sent le blues, collusion de références éparses dont l’évocation embrouillée devient magique.
L’introduction parlée de Nathalie Baye, récitant les derniers vers de La Chatte sur un toit brûlant à la manière – moins minaudée – de Britt Ekland sur le « Tonight’s The Night » de Rod Stewart, la jolie mélodie du chant comme des claviers et de la guitare, les timbres de batterie à la Ringo Starr, les voix de France et de Michel dans les chœurs, le solo de guitare final de Peter Frampton, le timbre blessé de Johnny, vulnérable, tout concourt à faire de cet OVNI thématique un improbable incunable. Michel Berger a réussi un prodige : transformer Johnny Hallyday de chanteur, au sens de vocaliste, en interprète. « Je faisais plutôt du rock et avec lui j’ai commencé à aborder la chanson française, la variété rock, disons », confirme l’Elvis franco-belge de la Trinité.
Ça n’a pas été immédiat, comme en témoigne Janik Top. « Lors des maquettes, au Palais des Congrès, Michel Berger montre le morceau à Johnny, qui le chante droit, raide, alors que Michel, lui, voulait une mélodie chaloupée. Il a fallu plusieurs passes pour que Johnny assouplisse son interprétation, pour parvenir à la version merveilleuse à laquelle on est arrivé plus tard, lors des séances au Canada. » Michel n’est pas peu fier d’avoir transformé Jean-Philippe Smet.
« Pour le disque de Johnny, je pense que la réussite vient de ce qu’il a donné tout ce qu’il avait. Mais je savais, moi aussi, ce que j’avais envie de faire passer. Me mettre simplement au service de quelqu’un ne m’intéressait pas. J’ai surtout envie de faire dire des choses, tu comprends. C’est la rage qui me fait travailler. La rage de voir des gens de grand talent sous-employés. J’ai entendu Hallyday faire des trucs épouvantables. France également. Cela m’a mis hors de moi et c’est ma meilleure motivation. C’est aussi ce qui m’a donné envie de donner sa chance à
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