Quelque chose en nous de Michel Berger
Claude Engel. Dans certains cas, le rôle du producteur devient capital. Trop d’artistes gâchent leur talent. Je commence par leur expliquer ce que j’ai voulu dire en écrivant la chanson. L’artiste y ajoute son propre feeling, sa personnalité. J’avoue n’avoir jamais rencontré d’antinomie entre ce que je voulais faire et ce que faisaient les gens que j’ai produits. Pour ce qui est de mon interventionnisme, il joue jusqu’à l’arrivée du disque dans les magasins, et même après, si je trouve qu’il y a un problème de pochette, par exemple. Johnny, ça ne change rien, si ce n’est qu’il joue son rôle, lui aussi. Gainsbourg m’a dit l’autre jour que “Tennessee” était une chanson merveilleuse. Tu ne peux pas savoir l’encouragement que cela représente. »
De fait, la collaboration Berger/Hallyday est duwin-win idéal. Le premier y gagne une dimension supplémentaire, étant parvenu, après France Gall, à conférer une identité nouvelle, crédible, sensible, humaine, à un artiste autrement plus statufié, déjà sculpté, presque muséifié, par une myriade hétéroclite d’auteurs précédents, de Philippe Labro à Didier Barbelivien, en passant par Long Chris, Gilles Thibault, Pierre Billon et Michel Mallory. « Michel aurait rêvé d’être Johnny Hallyday, parce que Johnny, il arrive avec la chemise blanche, il balance “Que je t’aime” et aussitôt le public répond », remarque astucieusement Janik Top. Le second, le vrai, y trouve un nouveau souffle, une caution de bon goût, de « nouvel homme » comme on dit alors, sensibilité soudainement exprimée, révélée, qui va lui permettre de dépasser enfin sa période Mad Max . « Michel sait écrire pour les autres, martèle Janik. C’est quelque chose de fantastique. Tu as des tas d’artistes qui essaient d’écrire pour d’autres, mais ça sonne toujours comme si c’étaient eux. Alors que Michel ne s’adapte pas : c’est comme si c’était Johnny qui l’avait écrit. Il avait ce sens aigu, au-delà de la réflexion : c’était de la perception. Il sentait la personne. »
Le tout emballé sous le concept de rock’n’roll attitude, là aussi slogan lumineux au point qu’il deviendra une expression courante, utilisée à tort et à travers, de la presse people aux talk-shows télévisés, pour tout et n’importe qui, s’insinuant jusque dans le langage des ministres de la République et à Matignon. Comme le dit justement Pierre Lescure, « il n’y a que quelqu’un de cultivé pour trouver une expression comme rock’n’roll attitude. Ce mec est éminemment et profondément cultivé parce que capable même dans une parole de chanson d’être parfaitement synthétique d’une époque, ce qui normalement est le rôle du romancier. »
Cette chanson titulaire hâbleuse, elle, est un peu ampoulée, rappelle quelque chose de « Résiste », ses paroles sont parfois embarrassantes, mais le riff Rolling Stones basique en est efficace, le solo de Frampton perçant, et fera la blague sur scène. C’est ce que Johnny espérait, comme il l’explique alors à Michel Drucker dans « Champs-Élysées », le 1 er juin 1985. « On a beaucoup pensé à la scène pendant qu’on faisait ce disque. Ça n’est pas toujours le cas, et ensuite, je suis gêné. Là, on a beaucoup parlé des sujets des chansons mais aussi du style musical avant de se lancer. » « Ils étaient fascinés l’un par l’autre, se souvient Bernard de Bosson. Pourtant, on ne peut imaginer êtres plus différents. » Au point, d’ailleurs, que c’est Michel qui montre à Johnny comment monter, après vingt-cinq ans de carrière, sa société de production et d’éditions.
L’essentiel, partant de cette « Rock’n’roll attitude » revendiquée et de l’amalgame avec les ressentis conjointement et cumulativement invoqués par « Le chanteur abandonné », « Tennessee », mais aussi « Seul, mais pas solitaire », c’est l’image que Berger va construire, comme il l’a souhaité, avec cette pochette montrant Johnny, clope au bec, chemise blanche, pantalon noir et cravate au vent, valise à la main, longeant des rails délabrés, « l’homme du train » déjà, dans ce no man’s land derrière la cantine aux baies vitrées de France Télévisions, face auxquelles je vais donc pendant des années déjeuner à la sauvette, Libé et L’Équipe sur les genoux, portable posé sur le comptoir en cas d’urgence. Iconographie forte,
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