Qui ose vaincra
chaque fois pareil, il estime que chacune de ses secondes est
précieuse. »
La Grandière se tire
parfaitement de la première phase de l’opération. Il referme respectueusement
la portière sur le général, puis d’un pas de promeneur du dimanche, il
entreprend, nonchalant, de contourner le véhicule qui démarre, le laissant sur
la chaussée, contemplant la scène d’un air cagot.
La Rover freine dans un
crissement de pneus et fait marche arrière. La Grandière rejoint sa place.
« Veuillez m’excuser,
mon général, j’ai été surpris.
— Ce n’est rien. Votre
unité doit manquer d’entraînement physique, je vais y remédier. »
Dans les semaines qui
suivirent, La Grandière poursuivit consciencieusement ses démonstrations d’inaptitude.
L’entourage du chef de la France libre avait fini par se persuader que de
Gaulle s’en amusait, car tous étaient stupéfaits de voir le sous-lieutenant
conserver son poste.
Pourtant, un jour, la
coupe déborda.
Le général avait
recommandé qu’on ne le dérange sous aucun prétexte, avait condamné sa porte et
son téléphone. Descendant l’escalier, La Grandière croisa Pierre Bloch qui
montait tranquillement.
« Grands dieux !
Vous voilà enfin, s’exclama-t-il avec un sincère accent d’effroi. Il y a une
heure que je vous cherche partout. Le Général vous réclame à cor et à cri. Il
est au bord de l’apoplexie. Précipitez-vous, frappez et entrez sans attendre sa
réponse. »
Décomposé, Pierre Bloch
se précipita, frappa et entra.
Le soir même, le
sous-lieutenant Roger de la Grandière rejoignait à Camberley son unité et ses
amis.
Bretagne, 16 juillet
1944. Ferme de Boc-à-Bois. Roger de la Grandière laisse approcher la première
vague de S.S. Il est parfaitement camouflé derrière son mur ; le canon de
son arme est dissimulé par des branchages. À genoux, le sous-lieutenant observe
la progression de l’ennemi par une faille. Derrière, un léger glissement lui
parvient. Il se retourne. En trois bonds, l’adjudant Marie-Victor vient de
prendre place au second fusil mitrailleur.
« Je t’avais ordonné
de foutre le camp. Rejoins les autres ou je te fais passer le falot, grince La
Grandière, juste assez fort pour se faire entendre.
— Je t’emmerde, Roger,
réplique Marie-Victor, y en a marre ! C’est toujours les mêmes qui
rigolent !
— Nous aussi on aimerait
bien rigoler un peu, mon lieutenant. »
Enfreignant eux aussi
les ordres, le sergent Le Gall et le jeune Plouchard rejoignent par le côté
opposé.
« Vous vous croyez
malins, pauvres connards ! Vous courez après une citation ? Taillez-vous,
je ne me répéterai pas.
— C’est pas le
moment de discuter, mon lieutenant », réplique Le Gall en préparant des
grenades et en armant sa mitraillette.
D’un signe, il désigne
ensuite à Plouchard la place à laquelle il sera le plus efficace. La Grandière
n’a plus le temps d’insister, les Allemands sont à cinquante mètres.
« Que personne ne
tire avant moi. »
Les hommes lui jettent
tous les trois un regard surpris. Le sous-lieutenant se rend compte qu’il a
énoncé une évidence.
Les Allemands sont
attentifs et prudents, mais il est certain que leur chef ne s’attend pas à une
embuscade. La première ligne est serrée, ils sont bien une quarantaine à
avancer de front. À quinze mètres environ, La Grandière fixe une grosse pierre ;
il décide qu’au-delà d’elle les Allemands risquent de s’apercevoir de leur
présence. Un premier soldat passe la pierre, le sous-lieutenant ouvre le feu. Aussitôt
le fusil mitrailleur de Marie-Victor crépite, à une fraction de seconde. Les S.S.
tombent comme des quilles ; derrière la première vague, des hurlements se
font entendre, des ordres de repli fusent. Profitant de la surprise, Le Gall et
Plouchard se lèvent et jettent chacun deux grenades.
De la première vague, deux
ou trois hommes seulement ont réussi à se replier ; les autres gisent
morts ou hors de combat.
La Grandière comprend qu’ils
vont avoir un répit. Le temps qu’en face les chefs adoptent une nouvelle
tactique.
Une fois encore il tente
de convaincre les siens de décrocher.
« D’accord, on
décroche tous les quatre si tu veux », lance Marie-Victor.
La Grandière consulte
son bracelet-montre :
« Quatre minutes
quarante-cinq qu’ils sont partis, on serait rejoints à coup sûr. Avec Michel à
transporter,
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