Qui ose vaincra
larmes glissent entre ses pommettes et les ailes de son nez. Sans bouger
son bras, il tourne son poignet, jette un coup d’œil sur sa montre, il est 7 h 48,
le sous-lieutenant Michel de Camaret a près d’une heure d’avance.
En 1947, en Indochine, un
bâtiment léger de la Marine nationale fut baptisé Roger-de-La-Grandière. Sans
en acquérir jamais la certitude, nombreux sont ceux qui restent persuadés que
la suggestion de ce baptême a pris naissance à Colombey-les-Deux-Eglises.
33
Dans la nuit du 13 au 14
juillet, le lieutenant Alain de Kérillis, traqué par les Allemands et les
miliciens, parvient miraculeusement en bordure du bois de Kerlanvau, dans une
ferme isolée, habitée par la famille Kerhervé.
Une dizaine de
survivants se traînent autour de Kérillis : ce sont des hommes en loques, aux
limites de leurs forces, qui ont pourtant trouvé le courage de transporter leurs
blessés.
Alain de Kérillis a reçu
une balle dans l’avant-bras droit, mais il est accablé par une blessure plus
profonde et cruelle : il vient d’apprendre la mort tragique de Marienne.
Le lieutenant Fleuriot
qui, la veille, s’est joint au groupe, souffre d’un éclatement du foie. Perrin
est atteint d’éclats de grenade à la cuisse. Terisse a les ligaments de la
cheville déchirés par un projectile. Les hommes qui sont indemnes sont pratiquement
vidés de toute ressource : Robert Crœnne, Pams, Francis Decrept, Harbinson,
le Meur, Pinci, Collobert, Galliou et Pasquet.
Devant l’arrivée de ces
spectres échinés, brisés, pitoyables, les Kerhervé oublient toute prudence, ne
cherchent même pas à se renseigner sur la distance qui sépare les fugitifs de
leurs poursuivants ; ils les accueillent, les nourrissent, leur proposent
de les coucher.
« Ce serait de la
folie, refuse Kérillis. Les Allemands risquent d’avoir repéré notre piste, mais
si vous disposez d’une cache sûre je vous laisserai néanmoins le lieutenant
Fleuriot, il n’est pas en état de nous suivre. »
Les fermiers distribuent
aux parachutistes tout le ravitaillement dont ils disposent. Le lieutenant
Fleuriot est installé dans une grange : s’il y est découvert, il pourra
toujours tenter de prétendre qu’il s’est réfugié dans cet abri à l’insu des
braves gens.
Après une halte d’une
demi-heure, la petite troupe reprend le chemin des bois. Accompagnés par un
adolescent, le fils Kerhervé, les parachutistes traqués parcourent huit à neuf
cents mètres et s’installent, frissonnants, sur la terre imprégnée de rosée. Ils
s’endorment tous comme des masses, insensibles à l’humidité, à l’inconfort et
au danger. Ils sont à bout de nerfs, ils dorment.
Un doux soleil les
réveille. Il est 8 heures du matin. Depuis leur parachutage, c’est la première
fois qu’ils se lèvent après l’aube, la première fois qu’ils dorment sans la
protection d’une sentinelle. Avant de sombrer dans leur sommeil, tous avaient
eu la même pensée : ils seraient peut-être abattus au gîte, mais leur
épuisement était tel qu’ils ne s’en étaient guère préoccupés.
C’est presque avec
surprise qu’ils prennent conscience du jour, de la quiétude qui les entoure, du
soleil qui les réchauffe.
Instantanément l’espoir
renaît et avec lui la soif de poursuivre.
Dans les jours
précédents, le « bilan » du stick de Kérillis a été inimaginable. Ce
groupe, depuis la bataille de Saint-Marcel, n’a jamais cessé d’agir, de porter
aux Allemands des coups furieux. Les S.A.S. ont attaqué des convois, ont fait
sauter un train de munitions et d’armement, détruit des transformateurs électriques,
coupé à maintes reprises la voie ferrée sur des axes essentiels. Par leur
efficacité, ils ont porté à son paroxysme la fureur de l’ennemi.
Le jeune Kerhervé arrive
porteur d’un récipient de café brûlant. Il le dépose et retourne à la ferme de
laquelle il revient quelques instants plus tard avec son père. Les deux Bretons
soutiennent le lieutenant Fleuriot qui a prétendu se sentir en état de
rejoindre les siens.
Les Allemands paraissent
avoir perdu la piste, mais, malgré l’apparente résurrection de ses hommes, Kérillis
préfère prolonger leur répit et décide de rester sur place une journée de plus.
À 15 heures, le petit
groupe est en pleine détente. Pinci, Decrept, Collobert et Galliou ont entamé
une partie de belote. Ils jouent des
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