Qui ose vaincra
hors de question de cavaler. Il faut les retenir au moins une
demi-heure, mais pour ça un homme suffit.
— Je reste seul, si
tu veux, réplique Marie-Victor.
— Tu me fatigues !
— On va pas
remettre ça, intervient Le Gall. T’aurais pas plutôt une pipe, mon lieutenant ? »
La Grandière lance son
paquet, Le Gall s’en saisit au vol, prend une cigarette, puis sur un signe de
Marie-Victor le paquet voltige à nouveau.
Plouchard, le plus jeune
(il vient d’avoir dix-huit ans) tire en l’air une rafale de mitraillette.
« T’es malade, qu’est-ce
qui te prend ? jette, intrigué, le sous-lieutenant.
— Le père Constant,
mon lieutenant.
— Merde, je l’avais
complètement oublié celui-là !
— Vous voyez bien
qu’on sert à quelque chose ! Si ça ne tire pas, il va s’amener comme une
fleur. »
Constant Leguéné est un
fermier voisin. Il est le père de cinq enfants. La veille, à l’arrivée des
parachutistes, il se trouvait chez les Monnier. Avant de partir, il avait
promis d’être là le lendemain entre 7 et 8 heures avec du ravitaillement et un
médecin pour Michel de Camaret.
Un coup d’œil avait
suffi à la Grandière pour s’assurer que le paysan n’était pas de ceux qui
oublient, ou qui arrivent en retard à ce genre de rendez-vous. Et il était
maintenant 7 h 16.
Une dizaine de minutes s’écoulent.
Un silence oppressant éprouve les nerfs des parachutistes. Une pluie fine s’est
mise à tomber ; le sol déjà humide s’imprègne instantanément, devient boue.
« Mais qu’est-ce qu’ils
foutent, nom de Dieu, s’inquiète Plouchard.
— Je pense qu’ils
sont assez nombreux pour se diviser en trois groupes. En tout cas, ils n’ont
sûrement pas d’armes lourdes, sans ça on aurait déjà dégusté. »
Les quatre parachutistes
se relaient deux par deux pour guetter. Le sergent Le Gall scrute l’orée du
bois, perçoit des mouvements, mais rien ne peut être tenté.
« Ils s’agitent
derrière les arbres, déclare-t-il simplement.
— Évidemment !
Méfie-toi, ils vont chercher à balancer des grenades, et leur saloperie à
manche de bois, ils arrivent à les balancer de loin. »
À la seconde même où La
Grandière termine sa phrase, un S.S. a bondi. Trois pas en avant, puis sa main
droite va chercher son élan au plus loin derrière son corps. Le Gall l’atteint
en plein front. L’homme tombe en arrière. Il a lâché la grenade dégoupillée ;
dans sa chute, sa nuque la frappe ; l’explosion lui déchire le cou, fait
éclater son crâne. Les parachutistes détournent les yeux.
Aussitôt, simultanément,
six Allemands se précipitent dans le même mouvement. Les Français déclenchent
un tir continu, mais cette fois quatre grenades sont parties. Par miracle, elles
ne franchissent pas le mur. Trois des lanceurs sont parvenus à se replier, trois
sont restés sur place.
À nouveau c’est le
silence. À nouveau La Grandière consulte sa montre : 7 h 28. Le
sous-lieutenant imagine Camaret et ses porteurs qui s’éloignent à travers les
bois.
Surtendus par les assauts
avortés des lanceurs, les quatre parachutistes oublient le père Constant. Douze
minutes passent sans que la moindre évolution ne soit perceptible. Alors, débouchant
d’un sentier, Constant Leguéné arrive paisiblement, suivi de trois de ses fils,
des gamins de douze, onze et neuf ans. L’homme et les gosses ont les bras
chargés de victuailles. Ils sont surpris par les Allemands qui se débusquent, se
plaçant entre eux et le champ de tir des parachutistes.
« Halt ! »
Constant se retourne, lève
les mains, laissant tomber un paquet de quinze côtelettes qui s’éparpillent à
ses pieds.
« Courez tous les
trois ! Courez ! » hurle-t-il à ses fils.
Les gosses restent figés
sur place.
Derrière leur mur, les
quatre parachutistes assistent, impuissants, à la scène.
« Parachutistes
sortir ou homme et enfants kaputt ! ordonne un Allemand.
— Ne sortez pas !
hurle Constant. Ce sont des S.S. ! Ils nous tueront tous !
— Tire sur la
gauche, lance Marie-Victor à La Grandière. J’y vais.
— Je vais avec toi »,
avoue Plouchard.
Les deux parachutistes
sautent le mur et s’élancent. Ils courent mitraillette au poing, lâchant des
rafales devant eux. Entre leurs coups de feu, ils clament rageusement « Tirez-vous,
les mômes ! Courez, les enfants ! Tirez-vous, courez, nom de Dieu ! »
Les Allemands
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