Qui ose vaincra
fortunes qu’ils ne possèdent pas, des
femmes imaginaires, des châteaux en Espagne.
« Ils m’emmerdent
avec leurs conneries, déclare Terisse, je vais refaire mon pansement. »
Il s’éloigne en
claudiquant d’une dizaine de mètres, enjambe les deux officiers qui somnolent
et va s’asseoir à l’écart, le dos calé contre un arbre.
Crœnne et Pams sont
occupés au bricolage d’un poste de radio, dans l’espoir plus qu’incertain de
parvenir à capter des nouvelles.
Terisse éprouve des
difficultés à se défaire de la bande ensanglantée qui entoure sa blessure à la
cheville. Il crie, râleur, dans la direction de Crœnne :
« Bébert, salopard !
Ça te crèverait le cul de venir me donner un coup de main ?
— Tu vois pas que
je m’occupe d’un blessé plus important ? réplique Crœnne. T’es pas mourant,
non ?
— Ah ! ils
sont beaux les potes, plaisante Terisse. D’abord, qu’est-ce que t’en sais si je
ne suis pas mourant ? Ça n’arrête pas de pisser, cette saloperie. J’ai
perdu au moins vingt litres de sang.
— J’arrive », concède
Crœnne qui, suivi de Pams, rejoint son compagnon.
Terisse a disposé une
trousse de pharmacie à côté de lui. Il a presque entièrement déroulé le
pansement dont seule l’extrémité adhère encore au sang coagulé de la plaie
bénigne. Crœnne s’agenouille et tire le pansement d’un coup sec. Terisse gueule :
« Nom de Dieu !
Fumier ! Sadique ! C’est pas possible, ça t’envoie en l’air de voir
souffrir les autres ! »
Crœnne et Pams éclatent
de rire. Pendant que Crœnne soutient la jambe, Pams nettoie la blessure à l’alcool.
Sans arrêter de rigoler, il lance, narquois :
« Non, mais mate-la
un peu sa blessure ! Une égratignure ! Et c’est pour ça qu’il braille
et qu’il nous dérange !
— Je voudrais t’y
voir, pauvre guignol, réplique Terisse. Refais mon pansement et arrête de
déconner. N’oublie pas qu’il me reste un pied valide à te foutre au cul. »
Tout en enroulant la
bande sur elle-même, Crœnne enchaîne.
« Il va réclamer la
Légion d’honneur, s’acheter une petite voiture d’invalide pour aller ranimer la
flamme le 11 novembre. »
À huit cents mètres, à
la ferme des Kerhervé, un parachutiste frappe et entre. Sans y être invité, il
va s’affaler sur une chaise sous le regard de pitié de la fermière.
« Vous n’auriez pas
un morceau de pain, madame ? » demande-t-il sur un ton suppliant.
La mère Kerhervé se
précipite. Elle sort de la pièce, en revient porteuse d’un quignon de pain et d’une
boule de fromage frais qu’elle pose sur la table. Le parachutiste se jette sur
les aliments, tandis que la brave femme retourne au cellier d’où elle
réapparaît débouchant une bouteille de cidre.
La bouche pleine, le
parachutiste explique : « Il y a quarante-huit heures que je n’ai
rien mangé ni rien bu. J’ai perdu mes compagnons au cours du dernier combat. Depuis,
je parcours la forêt tout seul à leur recherche. » La fermière sourit :
« Ne vous inquiétez
plus, mon gars, ils ne sont pas bien loin ! L’un d’eux a même couché dans
la grange cette nuit. Mangez et buvez. Après je vous expliquerai comment les
rejoindre.
— Eh ben, vous, au
moins, on peut dire que vous êtes la Providence. Je commençais à désespérer et
à me faire des idées noires. Bon sang, vous savez, quand on est tout seul… »
Le parachutiste
engloutit le fromage entier, la moitié de la miche de pain, boit la presque
totalité de la bouteille de cidre.
« Ah ! je me
sens mieux à présent. Maintenant, si vous pouviez m’indiquer le chemin… »
La fermière sort sur le
pas de sa porte et désigne la direction du camp.
« Vous suivez le
sentier sur deux ou trois cents mètres. Après, vous prenez à travers bois sur
votre gauche. Il y a une ancienne haie, vous n’avez qu’à la suivre, vous
tomberez sur eux. Vous verrez mon mari et mon fils, ils y sont. »
Le parachutiste fait un
geste large de la main : une centaine de miliciens sortent du bois de
Trédion et fondent, silencieux, sur la ferme.
Le chef Franc-Garde Di
Gonstanzo et Maurice Zeller sont à leur tête. Le pseudo-parachutiste était le
sinistre Munoz : son uniforme a, une fois encore, tragiquement mystifié
une brave patriote.
La mère Kerhervé est
poussée violemment à l’intérieur de sa demeure, tandis que la plupart des
miliciens s’éparpillent
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