Qui ose vaincra
chaque nuit, ils sont torturés jusqu’à l’évanouissement. À l’issue de
chaque séance, un médecin les soigne et les ranime.
En trois semaines, les
Allemands et les miliciens ne tireront des deux martyrs que leurs noms et de
méprisantes insultes.
Fleuriot mourra le
premier au cours d’une séance de supplice. Kérillis tiendra quatre jours de
plus. Son corps n’est plus qu’une plaie sanglante, ses membres brisés, son
visage déchiré, lorsque, la veille de l’arrivée des Américains, dans une hargne
sauvage, Zeller l’achèvera, lui tirant un chargeur entier dans la tête.
SIXIÈME PARTIE
34
Tandis qu’en Bretagne
les premiers éléments du 2 e R.C.P., rescapés de la bataille de
Saint-Marcel, s’apprêtent à libérer Vannes, ceux du 3 e se morfondent
en Angleterre.
Le 3 e R.C.P. est
le dernier-né des régiments S.A.S. français. Il est placé sous le commandement
du chef de bataillon Château-Jobert qui, comme Bourgoin, dépend des généraux
anglais Mac-Leod et Browning.
Le capitaine Georges
Fournier fait partie de ceux qui attendent. C’est un officier de carrière. Il a
appris que la patience est l’une des vertus d’un soldat. Mais ses hommes sont
envahis par l’écœurement, l’ennui et le désespoir.
Depuis près de deux mois,
ils sont au secret au camp de Fairford. Ils refusent d’admettre que la guerre
puisse se terminer sans qu’ils y aient participé. L’atmosphère est surtendue.
L’arrivée inattendue d’un
détachement de l ’Allied Combined Opérations fait renaître l’espoir. Descendus
d’une Rover grise, un lieutenant-colonel anglais et un colonel américain
réclament le capitaine Fournier.
« Nous avons
mission de vous escorter jusqu’à Londres. »
L’officier français ne
demande aucune autre explication. Il prépare un sac et saute dans la voiture d’état-major,
après avoir transmis des consignes brèves à l’aspirant d’Azermont.
Dans la voiture, Fournier
interroge les officiers alliés. Ils conservent un mutisme prudent, s’excusent, expliquent
qu’ils ne font, par leur silence, que respecter de strictes consignes.
Fournier n’est pas
mécontent de la tournure mystérieuse des événements. La discrétion dont s’entoure
le Grand Quartier Général à son égard présage une mission essentielle.
À Londres il est
princièrement installé dans une suite de l’hôtel Dorchester. Il a « quartier
libre » jusqu’à l’aube du lendemain. On passera le prendre à 6 heures.
Georges Fournier est âgé
d’une trentaine d’années. Il est grand, se tient droit, son visage est pur et
sans défaut. La perfection de ses traits a fait naître chez ses hommes une
sarcastique légende : « Fournier, on ne l’enverra jamais au baroud. Ils
auraient trop peur qu’on lui abîme sa belle gueule de médaille. Ils veulent la
garder intacte pour le défilé de la Victoire. »
À 6 heures du matin, le
capitaine Fournier attend dans le hall mœlleux et feutré du Dorchester. Avec
une précision de coucou suisse, les deux colonels le retrouvent et l’invitent à
reprendre place dans la voiture.
« Nous sommes
toujours en plein mystère ? s’enquiert Fournier, en s’affalant sur son
siège.
— Non, capitaine. Nous
pouvons vous renseigner sur notre destination. Nous vous conduisons au Q.G. du
général Eisenhower. Il vous a réclamé. »
Fournier émet un
sifflement admiratif. Il est, à sa connaissance, le premier officier parmi les
deux régiments S.A.S. français à jouir du privilège de rencontrer le chef
suprême.
« Je suppose que
vous ne pouvez m’en dire plus ?
— Nous n’en savons
pas plus. »
La voiture arrive au
Grand Quartier Général dans les environs de Portsmouth vers 9 h 30 du
matin. Dans un rêve, Fournier se voyait déjà en tête-à-tête avec Ike dans sa
légendaire roulotte. Il est conduit, à travers un labyrinthe de couloirs
sombres, jusqu’à une salle d’attente qui ressemble au salon d’un dentiste mondain.
Après une demi-heure d’attente,
Eisenhower apparaît. Il est en bras de chemise, col ouvert, manches retroussées.
La chemise est nue de badges et ne porte pas les insignes de son grade. Le
commandant en chef tient à la main un dossier et les journaux du matin.
Les trois officiers se
sont levés ; Fournier s’est figé au garde-à-vous, les deux colonels ont
gardé une nonchalance presque indifférente.
« Voici le
capitaine Fournier du
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