Qui ose vaincra
de mission qu’il tend, indifférent, à Fournier. Le capitaine
parcourt la feuille. Elle confirme en tout point l’énoncé du colonel ; elle
est signée : « Dwight D. Eisenhower. »
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Il serait vain de
chercher à établir, à travers les rapports, les citations, les comptes rendus
militaires, une différence quelconque entre les 2 e et 3 e régiments de chasseurs parachutistes.
Leurs missions se
ressemblaient. L’héroïsme, l’énergie et la rage avec lesquels ils les
accomplissaient étaient jumeaux, le pourcentage de réussite et d’efficacité
sensiblement égal, et pourtant, les rares officiers de liaison ou autres
observateurs qui eurent l’occasion de séjourner dans l’une ou dans l’autre de
ces deux unités eurent tous la surprise de se trouver dans deux mondes
différents.
Le 2 e R.C.P. était
en majorité formé par des natifs de la moitié nord de la France. Enormément de
Bretons, beaucoup de gars du Nord et de l’Est, auxquels s’ajoutaient quelques
Gascons et une poignée de Basques. Le 3 e R.C.P., créé en Afrique du
Nord, avait, lui dans ses rangs 80 p. 100 de Français d’Algérie, de
nombreux Corses ; dans sa presque totalité, il était composé de
Méditerranéens.
Les parachutistes y
parlaient le pataquès coloré de Babel-Oued dans lequel les plus grossières des
interjections forment des images qui portent à sourire et, bien souvent, la
chaleur passionnée de leur langage obscène, ordurier et trivial, les aida à
souffrir et à mourir.
Aube du 15 août. La
section de commandement du capitaine Fournier arrive à la ferme des Deux-Chênes.
Le capitaine a repéré de loin les bâtiments isolés. La position est idéale. La
ferme est en léger surplomb ; la végétation tourmentée permet une fuite
éventuelle de tous côtés.
Les Deux-Chênes sont
situés à quelques kilomètres de Bressuire, en bordure du « Bois Vert ».
La ferme est gérée par
un couple entre deux âges, de solides cultivateurs. L’homme comme la femme
reçoivent les parachutistes dans une chaleur sincère ; pas un instant leur
bonne foi n’est mise en doute, d’autant que les fermiers abritent déjà deux
résistants.
Les hommes qui forment
la section de commandement du capitaine Fournier sont : l’adjudant
Montagnac, Michel Alabi, Denis Kraft, Maurice Faroudja, Robert Masarelas. Tous
les cinq sont des Pieds-Noirs. Dominique Poli, lui, est Corse, Pierre Schmitt, Alsacien.
L’équipe vient d’essuyer
de nombreux coups durs, les hommes sont fourbus. Fournier décide d’installer
son P.C. à la ferme jusqu’à nouvel ordre.
La principale activité
des nombreuses unités allemandes qui demeurent encore dans la région semble
maintenant être axée sur la fuite au nord-est. Mais il faut se garder de
relâcher la vigilance, l’ennemi demeure combatif, non seulement pour protéger
sa retraite, mais aussi pour assouvir sa haine et son humiliation.
Aux Deux-Chênes, le
ravitaillement est abondant, les chambres nombreuses, la grande salle du
rez-de-chaussée fraîche et accueillante. Le havre a une odeur de quiétude et de
vacances.
« Des petits rois, voilà
ce qu’on est, des petits rois ! » déclare Alabi en se débarrassant de
ses bottes de saut et en massant ses pieds endoloris.
Le capitaine Fournier s’est
retiré dans un coin avec le régisseur de la ferme et les deux résistants. Ce
sont deux frères, Jean et Lucas Germain.
La fermière, une femme
solide qui doit friser la soixantaine, a préparé une bassine de café au lait. Elle
a disposé, sur la table, du pain, du beurre salé et s’occupe à faire cuire des
œufs ; gentiment, mais fermement elle a refusé toute aide proposée spontanément
par les parachutistes.
« Occupez-vous de
faire la guerre et laissez-moi faire la cuisine », a-t-elle déclaré.
Tous les huit se sont
installés sur des bancs grossiers le long de la longue table rustique. Ils
ressemblent davantage à des collégiens chahuteurs qu’aux implacables soldats qu’ils
sont.
Passant derrière chacun
d’eux, la fermière verse dans de grands bols le café crémeux. Elle passe
ensuite les assiettes qui chacune contiennent deux œufs qui continuent à
grésiller dans le beurre bouillant.
« Ma mère, si tu voyais
ton fils ! » clame Alabi qui ajoute aussitôt : « Elle croit
qu’il fait la guerre, la malheureuse ! »
Ils s’expriment tous
dans cet accent tellement chantant et convaincant
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