Qui ose vaincra
à découvrir le ciel
à travers l’entrelacement compact des branches.
À quatre pattes, Neuwirth
va de l’un à l’autre et leur ferme les yeux. Il retourne ensuite le corps de
Judet.
La terre tendre s’est
collée au visage baigné de sueur. Se servant du foulard de l’adjudant, Neuwirth
nettoie ses joues et ses paupières. Puis à son ami Judet il ferme aussi les
yeux. Il pèse de son bras sur la poitrine du mort pour parvenir à se relever, puis
il s’éloigne du charnier.
Il marche le cerveau embrumé,
l’esprit tourbillonnant dans un hallucinant carrousel. Peu à peu la raison le
regagne, en même temps que se dessine l’insupportable image de la tragédie qu’il
vient de subir.
Il sent monter en lui un
immense désespoir, une tendresse poignante pour les dépouilles des suppliciés
qu’il est contraint d’abandonner aux fourmillements avides de la forêt.
Il entend les derniers
mots de Judet, « Je ne connaîtrai jamais mon fils… », il revoit sa
belle gueule de tendre brute, lorsqu’à Ipswich il avait reçu la lettre de Doris :
« Tu n’aurais pas dix livres à me prêter, Lulu ? Il faut que j’offre
du Champagne, et je suis raide. Je vais avoir un fils, mon vieux. Dans six mois,
un fils, tu te rends compte… »
L’émotion déchire Lucien.
Les commissures de ses lèvres s’affaissent, son menton se contracte. « Il
ne faut que je pleure, lutte-t-il désespérément. Si je pleure je ne pourrai
plus m’arrêter, je vais m’effondrer sur place et je vais pleurer pour l’éternité… »
Il mord ses lèvres pour retenir ses larmes. Il contracte tout son corps, tente
de porter son attention sur la douleur aiguë que lui procure chacun de ses pas,
il n’arrive qu’à accumuler en lui les effluves croissants de sa souffrance. Alors
il craque. Il lâche un hurlement inhumain de rage et de désespoir. Il pleure. Il
geint comme un enfant qui veut attirer l’attention sur son puéril chagrin.
48
En mars 1945, l’ensemble
des régiments parachutistes S.A.S. avait été confié au brigadier-général J.
M. Calvert. Le jeune général a l’allure d’un petit buffle combatif et
hargneux. Il rentre d’Extrême-Orient où, comme adjoint du général Wingate, il s’est
illustré dans les fantastiques combats à travers la jungle birmane.
Le Troisième Reich est à
toute extrémité. En dehors des états-majors militaires, l’opinion considère que
la guerre est finie. L’attention est davantage portée sur les intrigues
politiques qui se nouent que sur les mouvements des armées qui poursuivent
pourtant leur lutte acharnée contre un ennemi agonisant qui refuse l’évidence
et qui, dans bien des cas, choisit la mort à la défaite.
La LRD armée canadienne
poursuit en Hollande une progression lourde et meurtrière.
Le 28 mars au matin, le
général Belchem, brigadier de l’état-major général (opérations) du 21 e groupe d’armées à Bruxelles, entre en contact avec le général Calvert.
Quarante-huit heures
plus tard, en Hollande libérée, une conférence réunit J. M. Calvert, le
colonel Beament de l’état-major de l’armée canadienne, le lieutenant-colonel
Derome représentant les forces spéciales auprès de l’armée canadienne.
L’entrevue porte sur l’éventualité
d’un parachutage de petits groupes de commandos derrière les lignes ennemies. Voici,
extraites du rapport secret du général Calvert, ses notes concernant la
préparation de l’opération qui devait prendre comme nom de code « Amherst » :
« Généralement
parlant la conception était la suivante : la LRD armée canadienne avait
comme mission dans l’ordre de priorité (d’après la note rectificative du 5 mars
1945) :
1) Ouvrir et assurer
pour son utilisation la route Arnhem-Zutphen.
2) Nettoyer le nord-est
de la Hollande.
3) Nettoyer le
nord-ouest de l’Allemagne jusqu’à la ligne de la Weser.
« Les 2 e et 3 e régiments de chasseurs parachutistes seraient parachutés sur
une zone comprise dans le triangle Groningen, Cœverden, Zwolle, environ
quarante-huit heures avant nos éléments terrestres de pointe, avec pour mission :
1) Causer le maximum de
confusion dans la région et ainsi empêcher l’ennemi de s’établir sur toutes
positions fixes.
2) S’emparer et empêcher
la destruction de ponts en neutralisant les charges de démolition, afin de
hâter la progression de nos forces terrestres.
3) S’emparer et
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