Qui ose vaincra
Gewehr ressemblent à des armes d’exposition.
La rigidité du garde-à-vous est telle qu’on pourrait se demander si les soldats
ne retiennent pas leur respiration.
« Parachutistes !
clame Rœder sans ordonner le repos aujourd’hui, 8 avril 1945, vous échoue le
premier honneur de votre vie de serviteurs du Führer. Vous allez combattre. Pour
votre baptême du feu, vous allez affronter l’élite des armées ennemies, une
autre troupe de soldats-dieux, des parachutistes anglais égarés au service d’une
cause ignoble. Nous sommes chargés d’anéantir un bataillon qui s’est réfugié en
forêt de Zwolle, à une cinquantaine de kilomètres au sud. Vous devez vaincre. Même
à vos morts je ne pardonnerai pas la défaite. Heil Hitler ! »
D’un seul mouvement, huit
cents bras se tendent, huit cents voix hurlent :
« Heil Hitler ! »
Le doyen des élèves de l’école
parachutiste de Groningenn est âgé de seize ans et quatre mois. Plusieurs
garçons n’ont pas atteint leur quinzième année. Ils ont été sélectionnés parmi
les plus fanatisés des « Hitler Jügend ». Leurs cerveaux d’enfants
ont été infectés par les doctrines nazies. Ils sont devenus d’implacables
machines, d’inflexibles rouages. Sans hésitation ni réflexion, ils chantent, marchent,
courent, se couchent, se lèvent, mangent, boivent, sur des ordres hurlés. Ils
tirent une gloire de leur asservissement à la voix de leur maître qui, aujourd’hui,
vient de leur ordonner de tuer et de mourir.
C’est Le Berrigot qui le
premier aperçoit les camions. À l’extrémité opposée du champ, ils se rangent
sur le bord de la route, puis d’autres les doublent et disparaissent dans une
courbe dessinée dans le sens de la forêt.
La manœuvre est évidente.
Ils sont repérés, l’ennemi les encercle.
« Je crois qu’on
est bons, marmonne Legras qui a compté quarante-quatre camions. Une vingtaine
de gus dans chaque véhicule, ça fait l’effectif d’un gros bataillon. Qu’est-ce
qu’on fait ? On lève les bras.
— Je peux pas, interrompt
Neuwirth. Depuis ma blessure, ça me donne des crampes.
— D’autant, surenchérit
Judet, que j’ai l’impression que les premiers à s’amener vont traverser les
champs. Les autres, ceux qui contournent, auront la forêt à se farcir. Ils
peuvent être assez cons pour se pointer à découvert dans un paquet de cent cinquante
ou deux cents. Et comme, de toute façon, quoi qu’ils fassent, eux n’en tueront
jamais plus de cinq, on peut considérer que nous sommes gagnants d’avance.
— C’est une façon
intéressante de voir les choses », admet Neuwirth.
Les parachutistes
disposent de deux fusils mitrailleurs pointés bien à l’abri de hautes futaies.
« Regarde, lance Le
Berrigot. T’avais raison, ils s’amènent. Ils sont pas vrais ces rombiers !
Sur une seule ligne !
— Tu parles, approuve
Judet qui jubile, ils doivent nous croire au milieu de la forêt. On n’est pas
plus beaux pour ça, mais on va avoir le temps de s’envoyer en l’air. En
déclenchant la musique à cinquante mètres, on devrait en coucher la moitié. Et
l’autre va tailler la piste comme une volée de moineaux. Évidemment, ce qui va
nous tomber sur les épaules par-derrière, ça sera sûrement plus cher. Mais de
ce côté, c’est du sirop. »
Les élèves parachutistes
s’avancent sans la moindre hésitation ni la moindre appréhension. Ils sont à
moins de soixante-quinze mètres lorsque Judet, suivi par Neuwirth, déclenche le
tir.
Les Français n’avaient
pas remarqué l’extrême jeunesse de leurs agresseurs. Casqués, armés, bottés, les
adolescents ressemblaient à tous les soldats du monde, mais la vitesse de leur
réaction surprend les S.A.S.. À la première rafale, d’un seul mouvement, l’ensemble
de la rangée se couche. Les gamins ne restent pas sur place une fraction de
seconde. Ils bondissent dans tous les sens, comme de jeunes kangourous, dans un
ballet asynchrone, fulgurant et imprévu.
Neuwirth et Judet ne
peuvent tirer que par courtes rafales sur ces cibles qui fusent et qui giclent,
et dans l’ensemble ils n’atteignent pas leur but.
« Ce sont des
sauterelles, c’est pas possible ! » gueule Neuwirth.
Bondissant dans tous les
sens, les terrifiants gamins se rapprochent.
« On décroche !
crie Judet. On s’enfonce dans les bois. »
L’adjudant et le sergent
prennent sous le bras les fusils
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