Qui ose vaincra
combat qu’il escomptait employer.
La situation fut renversée. Le désordre porté au-delà du front permit la lourde
et continue progression des blindés alliés.
Le major-général R. N. Gale,
commandant de la Ist Air-borne Corps, écrira :
« Les exploits des
parachutistes français constituent une chose dont la France doit légitimement
être fière. Les résultats obtenus au cours de l’opération Amherst sont un
exemple classique de ce type d’opérations. »
L’opération Amherst aura
pourtant une conséquence inattendue : elle provoquera l’un des ultimes
accès de fureur de Winston Churchill.
En prenant connaissance,
vers la mi-avril, d’un compte rendu dithyrambique sur l’héroïsme et l’efficacité
des parachutistes français en Hollande, paru en première page du London Evening
News, le Premier britannique convoqua le maréchal Montgomery :
« Quelle idée
saugrenue vous a poussé à employer des Français dans une opération d’une telle
importance ! Une opération au cours de laquelle il était prévisible qu’ils
se montreraient efficaces et spectaculaires.
— C’est pour cette
raison que je les ai choisis, monsieur, répliqua Montgomery. Et cela me semble
logique.
— S’il arrive que
la guerre se montre logique, la politique ne l’est jamais. J’ai fait prévenir
tous les organismes de presse. J’exige que l’opération Amherst soit étouffée.
— Je vous comprends
mal, monsieur. L’action des Français en Hollande peut être considérée comme un
succès sans précédent dans l’histoire des parachutages de masse dans les lignes
ennemies.
— C’est bien la
raison pour laquelle j’ordonne qu’on fasse toute la discrétion possible autour
d’elle. Nous arrivons à l’heure des comptes. Vous semblez ne pas connaître de
Gaulle ! Il est foutu de prétendre que la guerre n’a été gagnée que grâce
à l’intervention de ses parachutistes. En tout cas, comptez sur lui pour que l’héroïsme
de ces deux régiments pèse sur le plateau de la balance dix fois le poids qu’il
mérite.
— S’il pèse seulement
le poids qu’il mérite, croyez-moi, monsieur, il est à considérer.
— Raison de plus !
Black-out sur l’opération Amherst ! »
À l’annonce de ces
consignes formelles, le brigadier-général Calvert constatera : « Aux
Pays-Bas, nous ne fûmes que les gages des dieux. »
50
Lucien Neuwirth s’est laissé tomber à terre en bordure d’un chemin qui traverse la forêt. Recroquevillé dans la position d’un fœtus, il sanglote, la tête enfouie dans ses bras.
« You lost your mother, sonny ? » Doucement Neuwirth lève la tête. À travers ses larmes il distingue deux officiers allemands qui le dévisagent, narquois, pistolet P 38 au poing.
La honte chasse le désespoir, la rage la douleur. Neuwirth crie : « Murderers ! » en une interjection qui charrie toute la haine et tout le mépris du monde.
Les Allemands ont une curieuse réaction, ils semblent en proie à un vague malaise. Tranquillement l’un d’eux déclare, toujours en anglais : « Allez, debout, et marchez devant. » Neuwirth se relève. Ses deux blessures de la cuisse et de la cheville, celle de l’épaule sont devenues beaucoup plus douloureuses. Mais la hargne lui fait surmonter l’intolérable souffrance que déclenchent ses mouvements. Il avance, dérisoire et émouvant, à petits pas boiteux.
« Les mains en l’air », ordonne l’un des officiers. Le second intervient brièvement, en allemand : « Vous pouvez baisser vos bras », reprend en anglais le premier officier.
Très vite le trio traverse un village tout proche. Il est 6 heures de l’après-midi ; quelques Hollandais prudents assistent, silencieux, au passage du prisonnier. Un chemin sous bois les amène à un pavillon luxueux, Lucien Neuwirth est conduit dans un accueillant living-room ; dans l’âtre, un feu de bois crépite gaiement. Neuwirth est prié de s’asseoir dans un confortable fauteuil. Les Allemands débouchent une bouteille de cognac, en offrent un verre au parachutiste et, à leur tour, s’installent dans les sièges voisins.
« Maintenant, si vous nous racontiez ce qui vous est arrivé ? »
La première réaction de Neuwirth est de décliner son identité et son numéro matricule, en taisant bien entendu sa nationalité. Mais il réalise qu’en faisant le récit de la tuerie, les seuls secrets militaires qu’il risque de trahir sont ceux de
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