Qui ose vaincra
les parachutistes. Quant aux officiers, ils n’étaient pas
insensibles à la présence du chanteur-poète. Au café, les deux tables se
rejoignirent.
On discuta chansonnette,
puis corps d’élite. Cazenave questionna :
« Si je voulais m’engager
dans votre régiment, les formalités seraient-elles longues ?
— On peut les
simplifier », avait plaisanté Quillet. Cazenave s’était alors adressé à
Trénet : « Je crois qu’il va falloir vous trouver un autre pianiste !
Charles, ne m’en veuillez pas. Ça fait trois ans je je tiens le piano chez
Ledoyen avec le Jazz de Paris. J’aimerais faire quelque chose d’autre.
— Vous êtes sérieux ?
avait interrogé Quillet, étonné de la tournure des événements.
— Si vous voulez de
moi, je vous suis. » Très vite le régiment était parti pour les Ardennes.
Pierre Cazenave, incorporé
dans un temps record, avait suivi, avait participé à plusieurs très dures
opérations, démontrant qu’il était digne du corps qui l’avait accepté.
En Angleterre, il était
toujours là, et lorsque le parachutage Amherst avait été annoncé, il avait
supplié Quillet de l’inscrire dans son stick.
Il avait suffi de
quelques mois à Quillet pour se prendre d’estime et d’amitié pour le jeune
pianiste. D ’autre part, à maintes
reprises, Cazenave avait fait étalage de sa parfaite forme physique. Après tout,
chacun d’entre eux n’avait-il pas, un jour, effectué son premier saut ?
Quillet avait accepté. Il
n’avait pas prévu que l’immense importance stratégique de l’opération Amherst
allait obliger les parachutistes à être largués en pleine tourmente et avec l’avis
défavorable de la Royal Air Force…
Quillet se tient prêt à
sauter. Il a un dernier regard pour Cazenave qui le rassure d’un sourire crispé.
Quillet saute. Pierre Cazenave met trop d’empressement à le suivre. Il se prend
la jambe droite dans la sangle d’ouverture automatique du lieutenant, qui s’enroule
avec une telle force qu’elle casse net la jambe du pianiste et lui démet le
genou. Cazenave a un instinctif geste de la main ; la sangle cingle son
index, le brise.
Il sent alors le choc de
son parachute qui vient de se déployer, puis c’est le silence de la descente moelleuse
dans la nuit.
Pierre Cazenave réalise
qu’il ne va pas mourir, mais qu’il va être contraint de toucher le sol avec une
jambe cassée et un genou désarticulé.
« Le choc à l’arrivée,
lui avait expliqué Quillet, c’est à peu près comme si tu sautais d’un premier
étage. »
Pierre Cazenave crispe
les mâchoires et attend. Il voit la terre se rapprocher, il voit les arbres ;
il lutte pour garder sa connaissance, puis une atroce douleur lui déchire le
cœur ; il s’évanouit.
Il revient à lui à l’aube.
Jacques Quillet se tient à ses côtés. Le lieutenant lui a fait une piqûre de
morphine qui rend la douleur moins insupportable :
« Laisse-moi, articule
faiblement Cazenave. C’est la règle, tu le sais.
— Je la suivrai, réplique
Quillet, mais tu sais où nous sommes tombés ? En plein milieu d’un camp de
S.S. ! Il y en a partout ! Par miracle, nous sommes à l’abri d’un
petit bois, mais, valide ou invalide, on ne peut rien tenter. J’ai observé, ils
ont des sentinelles à chaque issue, ils passent et repassent en chantant à
moins de cinquante mètres de nous. Évidemment ils ont compris qu’on avait
largué des parachutistes cette nuit. Ils chassent. »
Pendant six jours, les S.S.
vont battre la campagne à la recherche des parachutistes. Ils dédaignent la
périphérie de leur propre camp. Quillet et Cazenave vont y rester cachés, se
nourrissant de rations, se désaltérant d’eau boueuse jusqu’à l’arrivée des
avant-gardes canadiennes.
Les lieutenants Michel
de Camaret, Richard et Taylor ont atterri sans casse. Ils passent aussitôt à l’action,
Camaret aperçoit à la jumelle un pont, non loin du village de Westerbork. Il
est gardé par une dizaine d’Allemands. L’attaque, hélas ! en paraît
irréalisable. Elle comporterait une progression sur un terrain plat et nu qui s’étend,
du lieu d’observation des parachutistes jusqu’aux mitrailleuses ennemies, sur
une distance de plus de deux cents mètres. La légère brume matinale est loin d’être
assez épaisse pour dissimuler les parachutistes s’ils décidaient d’attaquer.
« Je crois que j’ai
une idée,
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