Qui ose vaincra
compris.
Partir, une heure. »
Neuwirth a l’agréable surprise de constater qu’il souffre moins de ses blessures. La saleté de ses pansements le gêne un peu, mais les désinfectants du major ont, sans aucun doute, enrayé tout risque d’infection.
Le colonel Knegsel accompagne Neuwirth et Gabritt jusqu’à une camionnette asthmatique. C’est le premier véhicule qu’ils emprunteront tout au long du périple qui les attend : la guimbarde monte sur Assen, ça les rapprochera de Gronigen d’où ils tenteront d’embarquer à bord d’un convoi ferroviaire en direction de l’Allemagne. Leur destination définitive est le camp X. B., à quelques kilomètres au sud de Brème.
La camionnette effectue une navette bihebdomadaire entre Meppel et Assen. Trois filles profitent également de l’occasion : des « souris grises », auxiliaires féminines de l’armée nazie. Deux d’entre elles sont grasses et flasques ; la troisième est jolie. Elle a des lignes harmonieuses, un visage malin et souriant.
Neuwirth est allongé sur un banc de bois fixé par des chaînes à une paroi de la carrosserie. Une des souris dispose son sac sous la tête de l’ » Anglais » dans un geste de prévenance maternelle. C’est, malheureusement, une des deux grosses.
La camionnette quitte Meppel dans un concert de gémissements de pont usé et des craquements douloureux de boîte de vitesses à l’agonie.
La seconde grassouillette inspecte le prisonnier comme s’il était un objet détérioré. Neuwirth ne comprend pas un mot des propos échangés par les deux boulottes, mais elles se montrent d’une telle naïveté niaise dans leurs mimiques qu’il en saisit le sens.
Une des deux entreprend d’enlever la vareuse du parachutiste. Elle fait comprendre qu’elle va recoudre des boutons arrachés. La seconde s’apprête alors à refaire les pansements. Elle est habile, dispose d’une trousse de pharmacie complète. Elle commence par la cheville.
Pour la blessure de la cuisse, elle baisse le pantalon déchiré, le caleçon. Dans un chuintement balourd de gloussements et de rires triviaux, elle nettoie la plaie nette qu’elle enveloppe ensuite de larges bandes neuves.
La troisième fille ne bouge pas de son coin. Elle assiste, indifférente et muette, à l’opération.
Lorsque la camionnette, dans une série d’expirations exténuées, freine devant la Feldgendarmerie d’Assen, l’auxiliaire gracieuse n’a pas échangé le moindre propos, ni avec ses compagnes ni avec Gabritt. Au moment de quitter le véhicule, elle murmure au parachutiste dans un nostalgique sourire :
« Good Luck.’ »
Elle dépose sur le front du blessé un baiser frais.
Gabritt, lui aussi, a sauté de la camionnette. Il explique :
« Attendre… Une minute, attendre. »
Neuwirth acquiesce, mais s’en fout. Il regarde s’éloigner dans une flaque de soleil la silhouette souple de la fille qui oscille avec grâce.
Gabritt revient, accompagné par un capitaine de gendarmerie. Il parle anglais, peut servir d’interprète.
« Vous restez avec moi, annonce le nouveau venu. Votre gardien va chercher un moyen de transport pour Groningen. »
Aidé par les deux Allemands, Neuwirth quitte la camionnette et se laisse conduire dans les locaux de la gendarmerie. Gabritt le quitte en assurant qu’il ne sera pas long.
Une nouvelle fois, Neuwirth va subir les défoulements d’un homme qui profite de la présence d’un prisonnier pour étaler ses états d’âme dans une démonstration qu’il souhaite convaincante.
Seulement là, le ton change. On est loin de la culture philosophique de Knegsel. Le gendarme est une brute obtuse, qui vocifère, hargneux, en ponctuant ses propos de coups violents du plat de la main sur une table branlante.
« Vous êtes un abruti ! Vous vous battez sans comprendre, et ce n’est ni pour vous ni pour votre pays que vous vous faites tuer comme des chiens galeux ! C’est pour les Juifs, pour les Nègres et pour les Français. Les Anglais et les Allemands sont de la même race. Nous devrions être alliés pour combattre les Juifs, les Nègres et les Français. »
Neuwirth comprend qu’il n’a d’autre ressource que celle de jouer les imbéciles approbateurs. Il dodeline de la tête dans une mimique qui pourrait être celle d’un garçon un peu simple qui lutte douloureusement pour faire entrer dans son esprit sommaire une évidence qu’il vient seulement d’entrevoir.
« Vous croyez vraiment ? »
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