Qui ose vaincra
Neuwirth. Elle a été provisoirement affectée à des prisonniers de guerre, l’Anglais va retrouver ses compatriotes. Ce soir nous aurons un train qui nous conduira à Oldenburg, j’ai obtenu du mécanicien qu’il nous laisse voyager sur le tender de la locomotive.
(En anglais, il ajoute à l’intention de Neuwirth :) Essayez de presser le pas. Tommy. »
Neuwirth ne répond pas. Les trois hommes sont maintenant conscients de la duperie sur sa nationalité. Il est évident que Gabritt en est profondément blessé. Rosier a compris sa gaffe. Il essaie avec franchise, d’arrondir les angles : « Il faut comprendre, mon vieux. Mon ami, explique-t-il au cornac, a choisi un système, il a voulu le conserver.
— C’est un imbécile.
Lorsqu’il m’a désigné, le colonel Knegsel a nettement exposé les raisons de son choix. La persistance de votre camarade dans son mensonge prouve qu’il n’a jamais eu confiance en moi qui, depuis vingt-quatre heures, me bat pour le sauver. »
Neuwirth s’arrête. Il attrape l’Allemand par l’épaule, l’oblige à tourner la tête vers lui, et déclare, sincèrement contrit :
« Je te demande pardon, Hans. »
Gabritt est, sans conteste, enchanté. Mais il en désire davantage avant de donner l’aman. Dans une mimique de gamin boudeur, il répond : « C’est un peu tard.
Si on ne m’avait pas chargé de Rosier, tu ne m’aurais rien dit jusqu’au camp.
— Je te donne ma parole que si… Par prudence, j’attendais encore un peu, c’est tout. Il faut me croire. »
Neuwirth étend sa main ouverte.
Après une hésitation de principe, Gabritt la saisit.
« Bon, déclare le cornac. Nous allons passer l’après-midi dans un café que j’ai repéré près de la gare. N’allons pas à l’école, nous y risquerions de nouveaux tracas. Tendez-moi vos poignets, je vais vous passer les menottes et marcher derrière vous. »
Les deux parachutistes avancent, enchaînés. Derrière, Gabritt tient sa mitraillette braquée sur eux. Au bistrot, indifférents aux regards intrigués, ils s’installent ; l’Allemand commande du viandox et du pain.
« J’ai très peu d’argent, explique-t-il, et la route est longue jusqu’à Brème. Il nous faudra économiser si nous voulons éviter les hébergements dans les gendarmeries et les prisons. »
Neuwirth raconte à Rosier la tragédie de la forêt de Zwolle, puis le dialogue avec le colonel Knegsel, enfin l’intermède vociférant du capitaine de gendarmerie d’Assen. « Les Juifs, les Nègres et les Français » prennent une nouvelle saveur aux yeux de Rosier et à ceux de Gabritt, qui connaît maintenant la nationalité de son nouveau prisonnier.
L’Allemand sort un grossier mouchoir dans lequel il plonge le visage pour dissimuler son hilarité.
Il reprend :
« Prenez garde à ne pas me faire rire. N’oubliez pas le rôle que je suis censé jouer.
— Qu’est-ce que tu étudiais avant la guerre ? interroge Neuwirth.
— La philosophie. Je préparais mon agrégation, j’ai passé deux ans à la Sorbonne à Paris, je souhaitais également passer une licence ès lettres.
— Tu vas reprendre tes études après la guerre ?
— Après la guerre ?…
— On essaiera de te donner un coup de main. »
Gabritt répond, à la limite de la vexation :
« Ce n’est pas dans ce but que j’agis.
— Oh ! là !
là. Mais tu es susceptible comme une gonzesse. Nous ne l’avons pas pensé une seconde. »
Toute la nuit, ils grelottent sur le tender. À l’aube, transis, ils sont déposés sur le quai de la gare d’Oldenburg.
Gabritt, toujours faussement menaçant à l’égard des Français, se renseigne. Aucun train ne part en direction de Brème.
« Nous allons faire de l’auto-stop », décide le cornac.
Les trois hommes traversent la ville à travers les vestiges fumants des bombardements. Ils sont dans le centre lorsqu’éclatent les hurlements des sirènes. Gabritt, d’un regard circulaire, trouve l’entrée d’un abri. Il enlève les menottes qui retiennent ses prisonniers, et tous les trois courent en direction du refuge.
Le spectacle est écœurant. Une foule abjecte se rue vers l’orifice exigu, c’est un amalgame humain compact que toute dignité a abandonné.
Des hommes se battent, tirent par leurs vêtements des femmes et des enfants pour passer devant. Des vieillards sont piétinés dans une scène atroce de panique collective.
Gabritt se précipite. De la crosse de son arme, il assomme
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