Qui ose vaincra
ânonne-t-il timidement. Le gendarme frappe encore la table. « Je ne crois pas, je sais ! Et vous, vous savez ce qu’ils font pendant que vous répandez votre sang pour eux, les Juifs, les Nègres et les Français ? »
Neuwirth le regarde, passionné, fixe le crétin en donnant l’impression qu’il est impatient de se voir exposer son dogme.
« Ils baisent vos femmes en Angleterre, les Français, les Nègres et les Juifs ! Voilà ce qu’ils font ! Vous êtes des bataillons de cocus, des régiments de cocus, une armée de cocus, une nation de cocus ! Et vous avez compris qui vous fait cocus ?
— Les Français, les Nègres et les Juifs, approuve doucement Neuwirth. Mais moi je ne suis pas marié. »
Il craint un instant d’être allé un peu loin, il a tort. Le gendarme s’imagine que par la logique de ses arguments il attire un adepte à sa cause.
Gabritt revient après une heure durant laquelle le ton de l’officier de gendarmerie ne s’est pas calmé.
Le cornac a trouvé un camion qui monte sur Groningen. Le véhicule est dans un état de pourriture encore plus avancé que celui de la camionnette ; une odeur rance et insupportable d’huile brûlée se répand dans la cabine. Ils parviennent pourtant à Groningen à la tombée de la nuit, le camion les dépose devant la prison. Gabritt parle longuement avec les sentinelles, exige de voir un officier. Là, une fois encore, d’interminables palabres sont échangées sur un ton exempt de courtoisie.
Neuwirth commence à s’inquiéter. L’officier appartient à la S.S.
Lorsque sur un coup de téléphone intérieur apparaît un agent de la Gestapo, Neuwirth voit tous ses espoirs s’effondrer. L’agent de la Gestapo parle l’anglais, c’est à ce titre que Gabritt l’a réclamé. Il déclare, sec et méprisant : « Le sous-officier vous fait transmettre qu’il va coucher dans un foyer. Il vous laisse ici pour la nuit et viendra vous rechercher demain. Il paraît que vous êtes un protégé du colonel Knegsel et qu’on doit prendre soin de vous. Je vais vérifier. Si cet homme a menti, c’est de vous deux que nous prendrons soin. »
Neuwirth ne répond pas. Il se laisse conduire docilement dans une cellule dont les murs suintants sont couverts de sang coagulé. Un prêtre hollandais est vautré dans un angle sur une paillasse en putréfaction. L’odeur que répandent les latrines est insupportable.
En anglais, le prêtre déclare d’une voix exténuée : « Vous êtes peut-être un Anglais ? Peut-être un espion déguisé ? Ne vous vexez pas, mais je ne vous dirai rien.
— Je ne désire rien savoir, mon père. »
Lucien Neuwirth passe la nuit la plus cruelle de sa vie. La prison résonne de sons lugubres, il n’arrive pas à définir si ce sont des gémissements, des sanglots, des plaintes de douleur ou de désespoir. À plusieurs reprises, des hurlements inhumains déchirent l’air empuanti.
À l’aube, on vient chercher le prêtre. Il accompagne ses bourreaux dans un automatisme résigné. Neuwirth se retrouve seul, et tout espoir l’abandonne. Il ne peut chasser de son esprit un amoncellement de catastrophes qui auraient pu empêcher son gardien de tenir sa parole.
À 10 heures du matin, il essaie de se faire à l’idée de la mort. Il a compris que si Gabritt ne revenait pas, le meilleur traitement qu’il pouvait espérer était celui d’un peloton d’exécution.
À 11 h 30, deux gardes-chiourme hostiles ouvrent la cellule et précipitent sans ménagement le parachutiste à l’extérieur.
Au bout du long et sinistre couloir, il aperçoit Gabritt. Le cornac n’est pas seul. À ses côtés se tient un parachutiste de la compagnie Varnier, son ami Jacques Rosier.
Neuwirth boitille vers les deux hommes. À plusieurs reprises, il est poussé dans le dos et dans les reins.
Rosier, éberlué, regarde son compagnon comme s’il découvrait un spectre, puis il lâche : « Lulu, nom de Dieu !
Lulu ! Je te croyais mort ! »
Il se jette dans ses bras et l’embrasse.
Neuwirth ne répond pas. Au-dessus de l’épaule de Rosier, il fixe Gabritt, ne découvrant qu’un masque figé, insondable.
Au poste de garde de l’entrée, un nouveau conciliabule violent s’engage entre Gabritt et l’officier S.S. lorsque Gabritt signe la prise en charge du prisonnier. Neuwirth a l’impression que le S.S.
fulminant reçoit la gifle de sa vie.
« On va à l’école, annonce Gabritt s’adressant à Rosier et ignorant ostensiblement
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