Qui ose vaincra
poids, de sa présence. Il fallait les convaincre de
devenir ses complices. Il fut surpris de la facilité avec laquelle il y parvint.
« Dès que le camion
roule, tu sors de la marmite, avait recommandé le grand Noir. Si tu es pris, tu
dis que tu t’es caché dans le camion. Comme ça peut-être, on nous embêtera pas. »
Le chauffeur passe au
point mort. Il freine. « C’est la porte », songe Mouhot, tassé dans
son chaudron. « Première, seconde, je suis dehors. Je compte jusqu’à 200
sans me presser, avant de sortir. » Le grand récipient est imprégné de l’odeur
fade et écœurante de la soupe. Mouhot soulève le couvercle, sort, se glisse
vers l’arrière du camion, il soulève un coin de bâche, risque un coup d’œil à l’extérieur.
Il est 13 heures, les rues de Mirecourt sont désertes. Le camion ralentit, le
chauffeur rétrograde, tourne sur la droite. Mouhot saute.
Pendant qu’il s’assoit
sur le trottoir, en feignant de relacer ses godillots, le véhicule s’éloigne. Mouhot
pénètre sous un porche, trouve une porte, un escalier, une cave. Il s’allonge
paisiblement et attend la nuit.
L’évadé a enlevé ses
chaussures qui pendent sur sa poitrine. Il se glisse prudemment à travers les
rues, son seul repère c’est le canal, il doit le trouver et le traverser. Il
emprunte les voies dans le sens de leur pente, finit par apercevoir, à une
centaine de mètres, un pont gardé par deux sentinelles. Plusieurs ruelles permettent
de le contourner, d’atteindre la rive.
Le canal doit être large
de trente mètres tout au plus. Sans hésiter, Mouhot se laisse glisser dans l’eau.
Les lourdes bottines le gênent à peine ; il nage en souplesse, sans
provoquer le moindre clapotis, résistant à l’envie de porter son regard vers le
pont et les sentinelles. Sans encombre il prend pied sur la rive opposée. Sa
montre s’est arrêtée au contact de l’eau, elle marquait 10 heures 5 minutes.
Toute la nuit il marche
à travers bois. À l’aube il se terre dans une grange qui paraît abandonnée. Il
y découvre des vêtements de paysan, une veste et un pantalon de grosse toile, qu’il
troque contre ses effets militaires encore humides. Il s’apprête à poursuivre
son chemin lorsque, mû par une inspiration soudaine, il s’empare d’un grand
râteau qu’il pose sur son épaule. Il n’a pas besoin d’étudier sa silhouette
dans une glace pour être convaincu qu’elle cadre avec le paysage. Tant qu’il
marchera à travers champs, affublé de son outil, il ne devrait éveiller aucun
soupçon. On le prendra pour un paysan qui va ou qui revient du travail.
En moins d’un mois, sans
un centime en poche, sans un papier d’identité, Jacques Mouhot traverse la
France, son râteau sur l’épaule, se guidant au soleil. Il contourne les villes
et les villages. Il se nourrit au hasard des larcins commis la nuit dans des
potagers ou des remises. Au bord d’un puits, il a découvert un rasoir mécanique
et un pain de savon ; il se rase et se lave le plus souvent possible.
Dans la première semaine
d’août, il abandonne le râteau dans les faubourgs de Marseille. Une curieuse
émotion l’étreint lorsqu’il se sépare de l’outil qui – il en est convaincu
– lui a permis de réaliser son exploit.
Pendant plusieurs mois, Mouhot
traîne sur le port. Un travail de docker qu’on lui accorde par intermittence
lui sert d’alibi, lui permet de se procurer quelques aliments, lui permet
surtout de se renseigner sur les mouvements et la nationalité des navires. Pas
un instant il ne se désespère : la tristesse, la dureté et la monotonie
des jours qui passent sans lui apporter le moindre espoir ne le découragent pas.
Il a confiance en son étoile, il sait qu’un jour la chance passera, il sait qu’alors
il la reconnaîtra et la saisira.
À l’approche de l’hiver,
la situation n’a pas évolué, mais Mouhot est maintenant connu et accepté le
long des quais du port commercial où nul ne se préoccupe plus de sa présence
devenue familière.
Le 14 décembre, il
apprend que trois compagnies de soldats pétainistes sont en instance d’embarquement
à bord du Sidi-Ferruch, à destination de l’Afrique du Nord. Il n’y prête
pas une attention particulière, sachant qu’il est pratiquement impossible d’embarquer
clandestinement. Mais un hasard va déclencher son action.
Derrière une palissade, Mouhot
découvre un
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