Qui ose vaincra
extrait
quelques morceaux de mouton qu’il dispose dans la paume de sa main gauche. Calmement
il ouvre alors la porte de la niche. Le chien est un berger allemand adulte. Méfiant
il observe l’homme qui vient de le délivrer. Mouhot le sent prêt à bondir. Son
poing droit se resserre sur le manche de son arme, tandis que de sa main gauche
il présente les carrés de viande à la bête. Brusquement l’animal se décide, en
trois bouchées il engloutit la viande. Mouhot ne retire pas sa main, le berger
lèche la graisse dont elle est imprégnée. Mouhot risque une caresse, le molosse
l’accepte. Prudemment Mouhot inspecte l’intérieur de la niche, elle comporte
deux écuelles vides. Avec des gestes précautionneux il en saisit une, y verse
de l’eau. Le chien se précipite et lape avidement le liquide. Mouhot tente de
nouvelles caresses, le chien ferme les yeux et s’assoupit.
L’homme et l’animal
demeurent six heures côte à côte sans que rien ne se produise. Lorsque le
berger s’agite trop, Mouhot le caresse, lui parle, l’apaise. Il se prive de
manger et de boire pour rassasier son nouveau compagnon.
Il commençait à
désespérer lorsqu’enfin le convoi s’ébranle. Dans la médina de Casablanca, il
avait acheté une montre. Il essaie d’évaluer la vitesse du train, en conclut qu’il
a une dizaine d’heures devant lui. Le convoi roule doucement, mais régulièrement.
Vers 22 heures Mouhot suppose que la frontière est proche. Alors il pénètre
dans la niche. Grâce à son incroyable souplesse, il parvient à s’y
recroqueviller. Il fait ensuite entrer le chien qui, maintenant, lui obéit
docilement. Passant un doigt par un des trous d’aération, il arrive à repousser
le loquet. Le supplice que lui impose sa position se prolonge plus de deux
heures ; heureusement le berger dort tranquillement, bercé par les cahots
réguliers du wagon.
Il est minuit passé
lorsque, dans un long grincement suraigu, le convoi freine et s’arrête. Mouhot
perçoit des voix qui viennent du quai, on parle arabe et espagnol. La porte du
wagon est ouverte ; deux hommes le visitent, donnent des coups de gourdin
sur les caisses.
Mouhot devine qu’ils se
rapprochent de la niche ; le gros chien aboie, grogne furieusement. Ce
sont des douaniers arabes, ils rient, plaisantent, chahutent le chien qui
grogne de plus en plus. C’est exactement ce que Mouhot souhaitait. Par jeu ils
excitent la bête, jamais ils n’oseraient ouvrir la porte. L’un des Arabes imite
les grognements du chien. Puis ils rient, crachent et s’éloignent, satisfaits
par ce dérivatif imprévu.
La porte est refermée, le
convoi repart, roule une petite demi-heure et s’arrête à nouveau. Mouhot a plus
de mal à ouvrir la niche qu’il n’en avait eu à la fermer. Il descend du wagon
et se perd dans la nuit. Il est triste de quitter le chien, son seul compagnon
depuis près de deux mois.
Exalté par sa réussite, Mouhot
attend fébrilement l’heure d’ouverture du consulat britannique. Le consul le
reçoit, écoute son récit, pense qu’il a affaire à un mythomane et l’éconduit
sans courtoisie.
Une nouvelle fois l’évadé
se retrouve seul dans une ville inconnue, n’osant se confier à quiconque par
crainte d’être trahi. Il gagne la longue plage, s’étend à l’ombre d’un rocher
et s’endort lourdement.
Le soleil est bas lorsqu’il
se réveille. Dans la rade un bateau a mouillé. Bien qu’il se trouve
vraisemblablement à plusieurs kilomètres, Mouhot distingue le pavillon
britannique. Il n’hésite pas. Dès que la nuit sera tombée, il tentera de gagner
le navire à la nage. Il n’est pas sûr d’y parvenir, il est possible qu’il
évalue mal la distance sous cette lumière qui ne lui est pas familière. Il est
possible également que le navire appareille pendant qu’il nagera vers lui.
Mais Mouhot est las de
la multitude d’efforts solitaires qu’il fournit depuis des semaines. Son but se
trouve à portée de vue, il considère qu’il doit risquer sa vie.
Il a attaché l’argent
qui lui reste et sa montre sur sa tête à l’aide d’un lacet de chaussure. Il a
abandonné le reste de ses vêtements sur la plage. Et maintenant il nage, se
maîtrisant pour conserver un rythme lent et souple. Il se force à ne lever les
yeux vers le navire que toutes les cents brasses ; il redoute le froid
plus que la fatigue. Il nage depuis près de deux
Weitere Kostenlose Bücher