Qui ose vaincra
uniforme abandonné : indéniablement un soldat de Pétain a
déserté. Il n’hésite pas. Il se vêt de l’uniforme qui est approximativement à
sa taille et, d’un pas tranquille, rejoint la meute indisciplinée des bidasses
d’occasion. Il s’y noie sans la moindre difficulté, parvient à monter à bord
sans incident. Visiblement les soldats se connaissent à peine entre eux ; ça
ressemble à un embarquement de bétail, les hommes sont indifférents et résignés,
leur seule préoccupation paraît être l’heure de la soupe et de quoi elle sera
composée.
Mouhot trouve une
couchette sous le troisième pont, échange avec ses voisins quelques propos
anodins, apprend que leur destination est Alger. Dans un coin, quatre soldats
ont entamé une partie de poker, ils sont entourés d’une dizaine d’autres qui suivent
le jeu. Mouhot possède huit cents francs, il se joint aux spectateurs.
« Ils jouent comme des
savates », songe-t-il.
Le navire sort du port, commence
à gîter, l’un des joueurs est très rapidement incommodé. « Dès qu’il
dégueule, je prends sa place », décide Mouhot.
Effectivement, le
bidasse quitte rapidement le jeu, il vomit à quelques mètres dans une totale
impudeur ; il n’est ni le premier ni le dernier. Un peu partout, dans l’immense
cale dortoir, les recrues avachies se laissent aller, sans même tenter l’effort
de gagner un endroit plus propice. « Ce ne sont pas des hommes », pense
Mouhot, écœuré davantage par l’attitude veule et résignée des malades que par
les excréments nauséabonds qu’ils répandent sur le sol et qui dégagent une
odeur pestilentielle.
Il est accepté comme
remplaçant à la partie de poker. Il y fait ce qu’il veut, a l’impression de
jouer avec des simples d’esprit. Habilement, il perd dès qu’il sent qu’il faut
relancer l’intérêt du jeu. À l’aube il a raflé les trois primes de départ
Outremer de ses partenaires : une centaine de milliers de francs. Il
décide de se faire oublier et gagne le pont supérieur sur lequel il parvient à
se fondre parmi de nouveaux groupes.
Fausser compagnie à ce
tas de soldats atones sur le quai d’Alger ne lui demande pas plus d’efforts qu’il
n’en connut pour embarquer. Ce sont ses premiers pas en Afrique du Nord, mais, comme
tout le monde, il » entendu parler de la Casbah. Il trouve un jeune Arabe
qui l’y conduit, le précédant de quelques mètres. Cela ne lui coûte que deux
francs.
Il se procure sans aucun
mal des vêtements civils, puis il gagne la gare. Un train part pour Oujda, à la
frontière marocaine ; il le prend. Il passe la frontière à pied dans la
nuit. Il reprend un train à destination de Casablanca.
Contrit, Mouhot y
découvre que l’accès du port est impossible. Il n’a pas encore décidé de sa destination
future, il n’a que très vaguement entendu parler de la France libre, il se
laisse guider davantage par son instinct et par les événements que par une
volonté précise. Mais à Casablanca, traînant de bistrot en bistrot, il entend
parler de Tanger. On lui assure que dans la ville internationale tout est
possible. Tanger devient son but, mais il a également appris que la frontière
qui en permet l’accès n’est pas fantaisiste, elle est même considérée comme
infranchissable.
Plusieurs nuits de suite
Mouhot erre dans la gare ferroviaire, étudie les mouvements des trains de marchandises.
Après quatre jours de ce manège, il réussit à se glisser dans un wagon bondé de
caisses hétéroclites entre lesquelles il parvient à se faufiler. Sur le wagon
une fiche indiquait la destination. Les étiquettes des colis la confirment :
TANGER. L’heure, voire le jour du départ ne figurent en aucune place.
Après de longs instants
durant lesquels il se terre immobile, Mouhot décèle une présence vivante dans
le wagon ; prudemment il déplace quelques caisses pour tenter de
comprendre. Il découvre une grosse niche de bois qui ne comporte que quelques
trous d’aération : un chien geint doucement dans sa prison. Mouhot possède
un sac plein de vivres et trois litres d’eau. Il s’agenouille près de la niche
et parle doucement à l’animal qui gratte la porte de la patte et grogne. Mouhot
sort de sa poche un couteau à cran d’arrêt dont il fait jaillir la lame. Il
murmure :
« Mon vieux, c’est
toi qui vas décider si tu es mon ami ou mon ennemi. »
De son sac il
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