Qui ose vaincra
Pardonnez ma
témérité, mon général, mais j’ai perdu le sommeil. »
Un flux de sang lui
monte à la tête, il pense : « Je suis idiot, j’aurais dû aller droit
au but. » Les rires suscités par sa phrase le glacent.
« Voyez le major, il
vous donnera un somnifère », lance un colonel.
Bedell-Smith jette un
regard réprobateur et réplique :
« Allez-y, Seymour,
soyez bref. »
Seymour récite :
« Mon général, depuis
J – 40 il n’a plus été une seule fois question de la seconde vague de
débarquement, celle du golfe du Morbihan, de l’embouchure de la Vilaine. »
Bedell-Smith ne veut pas
répondre à la légère, il est sérieux :
« Il y a longtemps
que ce projet a été rejeté. Il n’avait été envisagé qu’en cas d’échec en
Normandie. Je ne vois rien en ça qui puisse vous tracasser.
— Justement, mon
général. Ce qui me tracasse, c’est la position tactique des parachutistes
français de Bretagne. Ils semblent s’attendre à un très puissant renfort. »
Les « huiles »
échangent des regards intrigués. Les parachutistes français de Bretagne… Personne
ne les a oubliés, mais ils remplissent leur mission puisque sur le front de
Normandie aucun renfort n’est parvenu en provenance du sud.
« Expliquez-vous, Seymour. »
Donald Seymour retrouve
son assurance, il a préparé les dossiers, il replonge dans son élément.
« Voici les
rapports du général MacLeod, mon général. »
Bedell-Smith parcourt
rapidement les feuilles. Sévère, il déclare :
« C’est aujourd’hui
que je prends connaissance de communiqués qui datent de six jours ? Convoquez
MacLeod. Ceci constitue l’ensemble des documents qui vous sont parvenus, Seymour ?
— Oui, mon général.
— C’est bon, Seymour ;
merci. »
Le lieutenant Seymour
retourne dans l’oubli. Le rôle qu’il a joué dans la guerre a duré moins de cinq
minutes.
Le général MacLeod s’y
attendait, mais les jours passant, il était convaincu à la longue que l’état-major
suprême approuvait les manœuvres de Bourgoin. Il s’en étonnait un peu, mais n’étant
pas dans le secret des dieux, il avait préféré rester passif.
« C’est
inimaginable, hurle Bedell-Smith, mais qui, qui a donné l’ordre de ce
rassemblement insensé ? D’une heure à l’autre les Allemands peuvent
balayer cette position indéfendable, libérer leurs divisions de Bretagne et
nous foutre sur les reins en Normandie une offensive de 150 000 hommes !
Tout ça parce qu’une poignée de parachutistes entraînés à obéir depuis trois
ans a décidé de faire une petite guerre à part.
— C’est un concours
de circonstances, mon général. Bourgoin s’est trouvé devant un fait accompli. Jusqu’à
présent, toutes les missions de sabotage qui ont été confiées au bataillon
français ont été remplies, au-delà même.
— Mais il est vital
qu’ils continuent, vous le savez ! Transmettez sur l’heure un ordre de
dispersion. Qu’ils reprennent leurs sabotages par petits groupes. Supprimez
cette cible ! »
Deux heures plus tard,
un message parvenait au P.C. de la Nouette à Saint-Marcel :
« Éviter à tout
prix bataille rangée – stop – continuer guérilla à outrance et armement F.F.I. —
stop – général macleod. »
27
18 juin 1944.3 h 30
du matin, heure solaire. Deux voitures quittent la Feldgendarmerie de Ploërmel
pour une patrouille. Paradoxalement, tandis qu’au sein des divers états-majors
allemands on s’interroge sur l’opportunité d’une attaque, tandis qu’on s’efforce
d’évaluer la puissance des forces rassemblées au camp de Saint-Marcel, la
gendarmerie qui aurait dû être la première informée de la concentration ennemie
a été laissée dans l’ignorance. Les Feldgendarme poursuivent leur travail de
routine.
Les chauffeurs des deux
tractions jaunâtres sont descendus faire tourner les moteurs usés, précédant
leurs six compagnons qui se brûlent la gorge en ingurgitant rapidement leur
ersatz de café.
Dans un fracas pesant de
bottes, les hommes font gémir l’escalier de bois vermoulu des locaux vétustés
où sont basés les quatre-vingt-six Feldgendarme de Ploërmel. Sans échanger un
mot ils s’engouffrent dans les véhicules qui démarrent péniblement et s’engagent
sur la nationale 166.
La nuit est encore
épaisse. Des nappes de brume rasent la route par intermittence et obligent
fréquemment le chauffeur de
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