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Qui ose vaincra

Qui ose vaincra

Titel: Qui ose vaincra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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C’est le jeu. On
    ne peut reprocher à un état-major de manquer de sentiment, surtout avec un
    objectif de cette envergure. Ce n’est pas sur mon régiment que je m’apitoie ;
    mes hommes ont toujours su où ils allaient, ils n’ont jamais pensé qu’on les
    emploierait à balayer le front après le combat. Mais cette bande de gamins…
    — Eux aussi savaient
    où ils allaient, commandant, en tout cas la plupart d’entre eux. Beaucoup vont
    probablement mourir. Les autres vont devenir des hommes en quelques jours. C’est
    la guerre.
    — Eh oui, c’est la
    guerre. Depuis l’ordre de parachuter le 2 e R.C.P., nos grands stratèges
    ont rayé la Bretagne de leur carte.
    — Que voulez-vous, conclut
    Smith en souriant, c’est la rançon de la gloire. Depuis la Libye ils ont appris
    à faire confiance aux bloody frogs ! »
     

26
    Si, au cours de sa vie, Donald
    Seymour eut une surprise, ce fut bien le jour où la commission de réforme le
    déclara apte au service armé. Petit, maigrichon, asthmatique, souffreteux, myope,
    Seymour vivait paisiblement dans une ville secondaire du Massachusetts, assumait
    les fonctions d’archiviste à la bibliothèque municipale, partageait son
    existence de célibataire entre ses dossiers qu’il chérissait et la multitude de
    médicaments anodins qu’il classait avec un ordre jaloux.
    Il avait presque honte
    de se présenter devant la commission. Un an plus tard, il recevait les insignes
    de sous-lieutenant. Un concours de circonstances faisait éclater ses capacités,
    et il était versé à l’état-major du général Eisenhower en qualité de lieutenant
    archiviste. C’est le poste qu’il occupait au jour J.
    Les archives de l’état-major
    suprême allié étaient classées dans l’immense sous-sol de Southwick House, dans
    les environs de Portsmouth, à quelques kilomètres de la célèbre roulotte du
    commandant en chef Eisenhower.
    Le lieutenant Seymour
    assistait, à l’écart, aux conférences quotidiennes des hommes qui tenaient dans
    leurs mains la destinée du monde. Il arrivait le premier dans la salle des colloques,
    en repartait le dernier, ramassant soigneusement les dossiers les plus lourds
    de l’histoire contemporaine.
    Pour les chefs de l’état-major
    allié, Seymour était un meuble. Il était rarissime qu’on lui adressât la parole.
    Il suivait la conversation, pressentait la nécessité de tel ou tel document, envoyait
    son adjoint courir le chercher.
    La perfection avec
    laquelle il assumait ses fonctions, la discrétion dont il faisait preuve
    accentuaient la modestie de son rôle. Aucun des officiers supérieurs ne l’aurait
    reconnu en le croisant dans la rue.
    Au sous-sol, dans la
    grande salle où il régnait sur une dizaine de subordonnés, Seymour agissait
    avec la même réserve, et nul n’aurait pu percevoir la flamme qui l’habitait, la
    fierté légitime qu’il ressentait pour la confiance qu’on lui témoignait.
    Avec passion il lisait, relisait
    tous les rapports, mettant un point d’honneur à comprendre, non seulement leur contenu,
    mais surtout le mécanisme des cerveaux qui les avaient conçus.
    Jour J + 10. 16 juin
    1944. Dans la salle de conférences, autour du général Bedell-Smith, chef d’état-major
    d’Eisenhower, sont réunis l’amiral Ramsay, le maréchal de l’Air Tedder, le
    maréchal de l’Air Leigh-Mallory.
    À sa place habituelle, Seymour
    n’a pas son attitude courante, mais personne ne le remarque ; il est
    pourpre, il transpire, essaie de vaincre sa maladive timidité. Depuis le matin,
    il est décidé à intervenir, à poser la question qui depuis trois jours hante
    son sommeil.
    Depuis trois jours, des
    arguments contradictoires se heurtent dans son esprit – cet esprit sans génie,
    mais dans lequel l’ordre joue une fonction essentielle. Seymour suit le
    tourbillon précis des propos échangés par les cerveaux de l’état-major, souhaite
    que son problème vienne enfin sur le tapis, lui évitant d’intervenir.
    11 h 30. Tout
    semble terminé pour aujourd’hui. Tedder s’est levé, bourre sa pipe pour la
    quatrième fois. Bedell-Smith boit un verre d’eau. L’atmosphère s’est soudain
    détendue, les lions échangent des propos anodins, rient d’une plaisanterie.
    « Pourrais-je
    ajouter un mot, mon général ? »
    Seymour est stupéfait d’avoir
    osé, stupéfait de la bonhomie que suscite sa question :
    « Je vous écoute, lieutenant,
    répond Bedell-Smith.
    —

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