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Refus de témoigner

Refus de témoigner

Titel: Refus de témoigner Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ruth Klüger
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venger, ou bien l’on se
disait que nous étions devenus inaptes à cohabiter avec les autres, comme les
chiens battus qui deviennent méchants. Ceux qui avaient vécu à l’extérieur, en
liberté, riaient aisément tentés de croire, et sans s’interroger beaucoup à ce
sujet, que seuls des criminels pouvaient avoir survécu aux camps, ou encore
ceux qui y étaient devenus criminels. Ce qui était de nouveau en contradiction
avec la conviction tenace et également très répandue que les camps de
concentration n’avaient pas été si terribles, et que nous en étions la
meilleure preuve puisque nous y avions survécu.
    Honneur aux morts, mais méfiance à l’égard des vivants.

II
    Le premier logement que nous attribua le gouvernement
militaire était une luxueuse maison, qui appartenait apparemment à un haut
fonctionnaire nazi. C’était merveilleux et irréel que d’habiter dans cette
maison, ce brusque passage de la misère et de la violence à une paix profonde
dans la chaleur de l’été fleuri, avec un jardin et de beaux livres. Cela n’a
pas développé chez moi le sens de la propriété, mais un sentiment de jouissance
provisoire. Je comptais que nous émigrerions bientôt. La vie, en ce début de
paix de 1945, me semblait instable et provisoire, en même temps que
miraculeusement revenue au calme. Ditha et moi, nous apprenions à faire du vélo
et nous allions nous baigner dans le Danube. Le courant nous emportait vers l’aval ;
nous revenions en courant sur la rive ensoleillée pour applaudir les garçons de
notre petite communauté juive temporaire qui espéraient nous faire grosse
impression en s’essoufflant à remonter le courant à la nage. Nous avons tous
fait connaissance au cours de cette longue pause du premier été d’après-guerre.
    Dans les camps de DP, il régnait au contraire une agitation
fébrile. Le plus proche était celui de Deggendorf, où Ditha se rendait volontiers
parce qu’on y dansait, alors que ça me déprimait, tout simplement parce que c’était
de nouveau un camp. Je me demandais sérieusement comment je supporterais de
vivre dans un kibboutz, alors que j’avais horreur des habitations collectives ;
dans l’Erez Israël il faudrait que j’habite en ville, ce qui ne
correspondait pas tout à fait à l’idéal en question.
    Les autochtones n’étaient évidemment pas enchantés de voir
les troupes d’occupation réquisitionner leurs appartements. C’était déjà assez
triste que les vainqueurs s’emparent des appartements et des maisons pour s’y
loger eux-mêmes, toutefois il fallait bien l’admettre, puisque après tout ils
avaient gagné la guerre ; mais qu’en outre ils transmettent cette
propriété légale à des vagabonds venus de n’importe où, ça dépassait ce que l’on
pouvait tolérer.
    Une amie de Göttingen se souvient de la maison où, étant
enfant, sous le régime nazi et venant des États baltes, elle emménagea en
Pologne. Les habitants polonais avaient dû partir si vite que le couvert était
encore sur la table et les chats affamés tournaient encore en miaulant autour
de la maison parce que leurs maîtres n’étaient partis que depuis deux ou trois
jours. C’étaient ces assiettes sur la table, dit encore mon amie, qui avaient
fait horreur à sa grand-mère, parce qu’elles lui avaient ouvert les yeux sur
les revendications d’autres gens, qui mangeaient aussi dans des assiettes.
    Le propriétaire de la maison que nous avons habitée pour
commencer l’a récupérée assez vite, très certainement parce qu’il réussit à
prouver qu’il n’avait pas été véritablement nazi. Ces réquisitions s’appliquaient-elles
toujours à des appartements nazis ? Je ne mettrais pas plus ma main au feu
pour l’innocence que pour la culpabilité de ceux qui avaient été expulsés de
façon expéditive. Où nous habitions m’était indifférent, pourvu que ce ne fût pas
un camp. Nous nous sommes ensuite rapprochées du centre-ville.
    (Quelques jeunes Juifs polonais que je connaissais bien et qui
s’étaient vu attribuer un appartement aménagé avec le plus grand soin y
trouvèrent des objets qui ne pouvaient provenir que d’une synagogue. Alors ils
brisèrent en mille morceaux tout ce qui ne leur servait à rien. Je n’approuvais
pas, parce qu’il y avait déjà eu assez de destructions, mais je dois reconnaître
qu’à tout prendre, ce vandalisme avait de bonnes raisons, dans cet appartement
distingué dont le décor

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