Requiem sous le Rialto
un second secret.
Un second secret ? Tron n’y comprenait goutte.
— Je crains de ne pas vous suivre, colonel.
— L’affaire est en effet assez compliquée, convint celui-ci en soufflant l’allumette et en la laissant tomber par terre d’un geste négligent. Que savez-vous à propos de M. Sorelli ?
C’était une bonne question, pensa Tron. Que savait-il au juste sur le cousin par alliance de Maria ? En dehors du fait qu’il éprouvait pour lui de la jalousie ? Ce qui n’était, en fin de compte, même pas certain.
— Julien Sorelli est né et a grandi à Paris.
— Vous a-t-il raconté ce qu’il a fait ces dernières années à Paris ?
— Il a commencé des études de médecine.
Le colonel fit un mince sourire.
— Ce n’est pas tout ! Il a aussi noué certaines amitiés. Le nom d’Alphonse Daudet vous est-il familier ?
Le commissaire ouvrit de grands yeux.
— L’écrivain ?
Son interlocuteur hocha la tête.
— Sorelli et Daudet entretenaient une intense correspondance à laquelle nous avions de bonnes raisons de nous intéresser. Vous savez peut-être qu’Alphonse Daudet est le secrétaire particulier du duc de Morny, lequel est lui-même…
— Le demi-frère de Napoléon III, l’interrompit Tron.
— L’empereur, reprit le colonel, a recours à son demi-frère pour des missions délicates. En outre, vous imaginez bien qu’il est avide de détails concernant les activités de Sa Majesté.
Tron constata qu’il avait toujours du mal à suivre la conversation.
— Julien Sorelli rapportait de tels détails à M. Daudet ?
— Le style de leur correspondance est assez fleuri, mais nous avons appris à lire entre les lignes.
— Êtes-vous en train d’affirmer que Julien Sorelli travaille pour le compte du gouvernement français ?
Le colonel acquiesça, puis ajouta comme en passant :
— Cependant, il lui restait assez de temps, semble-t-il, pour se livrer à ses opérations .
Tron ne saisit pas tout de suite le sens de cette phrase. Au bout de quelques secondes pourtant, le mot opérations l’assomma, tel un coup de massue. Il ouvrit la bouche, mais resta incapable de parler.
— Nous avons des preuves, commissaire.
Stumm von Bordwehr désigna le bureau d’un geste de la main. En voyant tout à coup ce qui était posé dessus, Tron crut que son entendement l’abandonnait. Comment avait-il pu négliger jusque-là les deux rasoirs, les deux lanières de cuir, le tas de lettres, les deux loups – un noir et un rouge –, ainsi que les articles de la Gazzetta di Venezia , étalés sur le bureau comme sur le présentoir d’un magasin ?
— Voilà ce que nous avons trouvé dans une sacoche au fond de l’armoire, précisa l’officier.
Le cœur de Tron battait si vite que celui-ci avait l’impression d’avoir des timbales dans la poitrine.
— Est-ce le comte qui vous a mis sur la voie ?
Le colonel répondit par la négative.
— J’ai entrepris une perquisition dans la chambre de Sorelli pendant que Sa Majesté lui dictait du courrier dans son cabinet de travail parce que je voulais en savoir plus sur ses activités pour le compte des Français. C’est ainsi que je suis tombé sur cet attirail. Je n’étais pas moins surpris que vous.
— Et maintenant ?
— Maintenant, cette affaire ne vous concerne plus, commissaire. Demain, nous emmènerons M. Sorelli à Vérone où nous poursuivrons l’interrogatoire.
— Où est-il en ce moment ?
— Dans la prison du palais des Doges.
— Dans les Plombs ?
— Avec une vue romantique sur le pont des Soupirs !
Stumm von Bordwehr esquissa un sourire cynique, tira sur sa cigarette et expira la fumée par le nez.
— Puis-je lui parler ?
— Je ne pense pas que Spaur soit d’accord pour que vous continuiez d’enquêter sur cette affaire.
— Vous ne m’autorisez pas à lui rendre visite ?
L’officier secoua la tête.
— Je n’en ai point le droit. M. Sorelli est mis aux arrêts de forteresse.
Il jeta son mégot par terre et l’écrasa comme un cafard.
— Allez-vous voir le baron aujourd’hui ? demanda-t-il.
— J’imagine que oui.
— Dans ce cas, prévenez-le que nous lui ferons parvenir un bref rapport demain matin. Je suppose qu’il sera enchanté par la tournure des événements – même si la garde civile n’a pas brillé dans cette affaire.
Le colonel ouvrit la porte pour signifier que l’entretien était terminé.
— Et n’oubliez
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