Retour à l'Ouest
destructions révolte la raison et, par
une sorte d’incidence, révèle une immense faiblesse. Ce n’est pas pour vaincre,
c’est par impossibilité de vaincre que l’on en arrive là. Et quand on voit les « nationaux »
s’acharner, avec le concours de l’étranger, à détruire la nation et le pays, on
découvre une évidence nouvelle : que ce nationalisme-là est condamné. Qu’il
vit les derniers soubresauts d’une immense et malfaisante agonie. Les hommes de
demain s’en souviendront avec honte. Ce n’est pas la renaissance des vieux
États, c’en est la pire fin. Une victoire militaire même n’accorderait, à ce
nationalisme-là, qu’un sursis sur des décombres parmi les haines, les mensonges,
les plus horribles boues.
Pourquoi toute une vieille Espagne cléricale, militaire, patronale,
financière et partiellement petite-bourgeoise s’est-elle dressée contre l’Espagne
démocratique ? Parce qu’elle se sentait menacée dans ses intérêts primordiaux,
qui sont des intérêts de propriété. Voilà ce qu’il ne faudrait oublier à aucun
moment. À travers le régime parlementaire – régime de compromis entre les
possédants et les non-possédants –, les masses paysannes réclamaient la réforme
agraire, les masses ouvrières une condition nouvelle, impossible à établir sans
collectivisation de larges domaines de la production. Aucune foi, aucune
coutume, aucun esprit sinon ceux qui tiennent indissolublement au régime
capitaliste de la propriété n’étaient menacés. Un million d’Espagnols sont
morts, Badajoz, Madrid, Oviedo, Tolède, Bilbao, Guernica, Malaga, Barcelone, Tarragone
ont saigné, saignent encore, toutes veines ouvertes, parce que la minorité
privilégiée de la nation, plutôt que de consentir à s’acheminer vers l’égalité
dans le travail, a tenté d’assassiner la majorité.
L’imbécillité de son crime comporte de grandes leçons. Si
elle perd la partie, il y a de grandes chances que ce soit définitivement et
totalement. Si la pression des puissances, toutes hostiles au socialisme, lui
assurait une retraite acceptable, si une nouvelle intervention massive des
États fascistes lui procurait une précaire victoire, ce serait dans un pays
épuisé, qui aurait perdu le meilleur de son sang, le plus clair de ses richesses
matérielles, et où les seules sources de vie, les seuls facteurs de régénération
seraient compromis par la servitude imposée aux masses. Pour panser tant de
plaies, reconstruire sur tant de décombres, ce ne sera pas trop de toutes les
énergies de tout un peuple et soutenu par une active solidarité internationale.
– Mais arrêtons-nous à considérer (au bénéfice d’autres possédants tentés, ailleurs,
de suivre l’exemple de leurs pareils d’Espagne) ce qui pouvait être fait pour
la collectivité espagnole tout entière, si, par une sorte d’abdication, infiniment
plus raisonnable que généreuse, les classes riches de la péninsule avaient
consenti à employer, sous la direction d’un pouvoir émané des masses
laborieuses, à la transformation sociale, au réoutillage, à la rénovation
matérielle et morale du pays, les énergies et les richesses qu’elles consacrent,
en se suicidant, à sa destruction. L’Espagne offrirait aujourd’hui au monde l’exemple
sans prix d’une révolution audacieuse et bienfaisante assurant d’emblée le
bien-être à tous.
Que l’on ne me reproche pas de faire ici un raisonnement d’utopiste ;
c’est au contraire un fort utile raisonnement et presque d’homme d’affaires. Pertes
et profits. La contre-révolution préventive, quand elle entend mater par la
guerre civile des masses laborieuses décidées à se défendre, devient onéreuse
pour la bourgeoisie : plus onéreuse, et de beaucoup, que ne le serait une
révolution acceptée, sagement subie parce qu’inéluctable. Heureux les
cagoulards voués au ridicule et à des mésaventures judiciaires, car ils se
préparaient un sort autrement tragique ! Le monde change, le monde ne peut
pas ne point changer : que les maîtres de l’argent, les propriétaires de
la terre et des usines le veuillent ou non, le vieux mécanisme de la production
se détraque – et les hommes sont en marche. À vouloir empêcher l’accomplissement
d’une transformation nécessaire, on ne peut que mettre la civilisation en
danger, multiplier les souffrances inutiles, détruire les plus belles villes, faire
ressortir avec la plus
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