Retour à l'Ouest
n’avait pas osé, en
raison d’une situation internationale assez périlleuse, assumer toutes les
responsabilités du pouvoir. Peu de temps après s’être affermi au pouvoir, Mussolini
ordonnait l’épuration de son parti, afin d’en exclure les révolutionnaires de
la première heure qu’il avait fourvoyés et bernés.
Meyerhold
29-30 janvier 1938
Meyerhold commença son œuvre de rénovateur du théâtre bien
avant la révolution. Les poètes symbolistes, les romanciers d’une fin d’Empire,
les peintres et les décorateurs comme Bakst , les créateurs
des premiers ballets russes comme Diaghilev et Nijinski, les révolutionnaires
mêmes dont la passion refoulée se faisait partout sentir créaient, entre 1905
et 1917 – c’est-à-dire entre deux révolutions –, une ambiance dans laquelle le
théâtre, pour vivre, devait subir une rénovation totale. La société russe tout
entière traversait une sorte de mue. Nul n’y était moins sûr du lendemain qu’un
grand-duc ou qu’un gouverneur général. Les vœux de la bourgeoisie même
appelaient l’ouragan proche. « Que plus violente advienne la tempête ! »
– s’exclamait Gorki à la fin d’un poème, et ce vers devenait la devise des
anarchistes. Lénine, pour ses feuilles, en choisissait une autre non moins
significative : « La flamme naîtra de l’étincelle. » Lénine, exilé
à Paris ou Genève, confiait à Lounatcharski la direction de l’école du parti
bolchevique de Bologne où se formaient quelques-uns des dirigeants de l’URSS future
(et des fusillés de 1936-1937). Au sortir des cours de l’école de Bologne, après
les petites conférences d’émigrés dans les grandes villes d’Occident, dans les
cercles d’illégaux des villes russes, dans les salons de l’intelligentsia, chez Merejkovski , Andreïev, Gorki, on commentait
Meyerhold, ses théories, ses essais, ses premiers échecs, ses premiers succès, parce
qu’il était du petit nombre des grands artistes russes – et dès lors européens
– hantés du dynamisme de l’époque.
Après la prise du pouvoir par l’insurrection ouvrière, Meyerhold,
rallié de bonne heure aux Soviets, se mit à l’œuvre pour des foules nouvelles, telles
que le théâtre n’en avait encore jamais accueillies. Les faubourgs dévastés par
la guerre civile, les relèves des tranchées, les cavaliers rouges venus de
fronts lointains, des paysans, des bergers, des chasseurs du Nord ou de l’Orient,
des délégués de congrès gouvernementaux qui étaient tout cela à la fois envahissaient
les théâtres, les remplissant d’une avidité naïve et virile, exigeant des
émotions et des idées, exigeant qu’on les fît communier avec eux-mêmes et l’univers.
Ce n’était plus le public raffiné, esthétisant, au sens critique suraigu, au
sens vital amoindri, des années à jamais révolues. Et il ne pouvait pas être
question de lui offrir des histoires de couchages assaisonnées de calembours à
triple sens ou de fine psychologie française. La vie des masses veut bien autre
chose, l’amour même n’y a pas ce goût de pâtisserie parfumée ou d’eau de toilette.
Il fallait redécouvrir en quelque sorte le drame antique sur des scènes pauvres
en matériel, en décors, en accessoires, avec des acteurs qui souvent avaient
faim. Et c’est alors, du temps de Lénine, de Trotski, de Lounatcharski, que
commença de se révéler ce que l’on peut appeler avec équité le génie de
Meyerhold.
Meyerhold osait. Aucune convention scénique ne l’arrêtait
dans sa recherche de l’expression puissante, c’est-à-dire intelligible et
portant l’émotion au maximum d’intensité. Tant pis pour les décors, tant pis
pour les vieux critiques effarés, survivant au déluge. La scène tournait, s’effondrait,
se désaxait, couverte d’échafaudages ou de plans superposés, parfois cassés, donnant
à peine à l’esprit du spectateur quelques indications sommaires : car il
ne s’agissait pas de combler sa vue paresseuse, mais de débrider son imagination,
fût-ce en l’irritant un peu. La scène se couvrait de constructions authentiques,
on y mangeait pour de bon, des coolies y transportaient de vraies balles de
coton. Tous les mouvements y étaient stylisés avec une exagération légère qui
leur faisait dépasser la petite réalité pour entrer dans la sphère d’une réalité
plus intense, jusqu’à en devenir oppressante. Les trucs du cirque – et l’a-t-on
assez
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