Retour à l'Ouest
d’une république démocratique : « Débarrassez-moi des
Rosselli, – et vite ! » Sûre d’être obéie… Autorité, hiérarchie, latinité,
– vous comprenez ?
Il faut réduire cet enchaînement de crimes, de menaces, d’intrigues,
de préparatifs d’un crime contre la nation entière – à l’espagnole – à ce
schématisme-là pour en discerner le caractère psychologique essentiel qui est l’affolement.
Pendant longtemps l’esprit
bourgeois
a
été caractérisé, en France plus qu’ailleurs, par sa mesure, son sens des
réalités, son hostilité aux aventures, sa modération généralement prudente et
quelquefois élevée. Dans cette tradition intellectuelle et morale, remontant
après tout à Montaigne, les répressions de juin 1848 et de mai 1871 font l’effet
de brusques accès de folie furieuse. Menacée dans ses intérêts vitaux, la
bourgeoisie libérale, intelligente, mesurée, modérée perd la tête et devient
féroce. Le sage Taine écrit que « les communards se
sont mis hors de l’humanité ». Un officier versaillais montre à Élisée
Reclus, prisonnier, les fumées de Paris, et lui dit : « Nous détruirons
cette ville ! » Précurseur, dans l’inconscience et l’affolement, de
ces conjurés d’hier qui estimaient (on me rapporte ce propos) qu’il fallait
fusiller cinquante mille ouvriers environ pour faire de l’ordre dans le pays. Réfléchissons
aux causes de cet affolement : c’est celui des profiteurs d’un régime qui
sent l’avenir se dérober à lui.
Imminence de la guerre ?
19-20 février 1938
Depuis les temps préhistoriques, les hommes attendent le
printemps comme une renaissance. Les civilisés d’aujourd’hui l’appréhendent
quelque peu. Aurons-nous la guerre en avril ? Sommes-nous prêts ? Sont-ils
prêts ? Oseront-ils ? Oserons-nous ? Y a-t-il suffisamment d’abris,
de canons antiaériens, de masques à gaz, de chars d’assaut, de mitrailleuses, de
mitraillettes, de mitraille, de mitrailleurs ? En êtes-vous sûr ? Baissez
la voix, mon cher ami, les oreilles ennemies nous écoutent. Taisez-vous, méfiez-vous !
Si, malgré tout, la plupart des gens, ces propos échangés ou
repérés d’un œil accoutumé dans les gazettes, ne continuaient à vivre avec une
belle, une saine, une tout à fait admirable insouciance, l’Occident souffrirait
aujourd’hui d’une psychose de guerre terriblement caractérisée, qui pourrait
bien, à son tour, devenir une cause de guerre.
Mais les gens ont raison. Plus encore qu’à la guerre
annoncée, préparée, ils croient à la paix, parce que la paix c’est la vie. Et
les mortels que nous sommes ne croient en réalité qu’à la vie qui est leur
seule réalité. Ces raisons de l’instinct, primordiales, suffiraient à nous rendre
confiance dans les plus infernales situations. Mais pour ce qui est de la
guerre, il en est d’autres, fort valables aussi, qui portent plutôt à l’optimisme.
D’abord une raison d’habitude. Des peuples peuvent vivre
dans l’attente de la guerre, préparant la guerre, sans que la guerre éclate. Depuis
1920, c’est-à-dire depuis la campagne de Pologne [197] , l’URSS, où j’habitais,
a sans cesse vécu sous l’empire d’une psychose de ce genre, due au sentiment de
sa propre vulnérabilité et aux préparatifs, très réels, de certains pays
voisins. Plusieurs fois, le conflit parut tout à fait imminent. L’URSS et ses
voisins, non moins alarmés de leurs côtés, ont pourtant vécu en paix pendant
dix-huit ans (réserves faites sur un conflit local en Mandchourie) et il y a
raisonnablement plus de chances pour que cela continue que pour que cela
finisse. Les incidents de frontière peuvent se multiplier, l’URSS n’a aucun
intérêt à attaquer la grande puissance nippone – et les visées de celle-ci ont
pour objet de vastes contrées beaucoup moins défendues et beaucoup plus
attrayantes que les Sibéries [198] .
Les états-majors anxieux peuvent se mesurer du regard pendant fort longtemps
des deux côtés du fleuve Amour, sans que les gouvernements dont ils dépendent
perdent la raison au point de se jeter dans une aventure dont le profit ne
pourrait qu’être aléatoire tandis que les risques seraient immenses. La
dictature bureaucratique n’en finit plus d’épurer l’arrière, ce qui montre qu’en
temps de paix elle se sent déjà menacée à l’intérieur. À quel sort devrait-elle
s’attendre au bout de quelques mois de
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