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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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sont tombées
au-dessous de 40 francs. Le pétrole formant presque la totalité des
exportations mexicaines (93 %), cette mesure d’expropriation, touchant à la principale
richesse du pays, modifie toute la structure économique de celui-ci.

La merveilleuse aventure… Chaliapine *
    16-17 avril 1938
    La merveilleuse aventure d’une existence commence ainsi :
    Un apprenti cordonnier, dans une ville de province, en
Russie, vers 1890, se découvre tout à coup une étrange richesse. La nature a
mis en lui une source de grandeur et de joie. C’est un enfant pauvre ; peut-être
n’a-t-il point de dons ; mais sa voix soulève l’émotion, illumine le chœur
de l’église, sa voix sera unique au monde. Il s’appelle Fédor Chaliapine. Il va
connaître une royauté que les révolutions mêmes ne mettront pas en question. Célèbre
et comblé de biens à vingt-cinq ans, il chantera pour des foules opulentes dans
les théâtres impériaux, devant des présidents de républiques en Europe et en
Amérique, et même devant des parterres de soldats rouges revenus la veille des
lignes de feu…
    Il se trouve que le possesseur de cette voix étonnante a des
intuitions quasi géniales qui en font un acteur incomparable. Il ne pense pas
que ce soit surprenant. Comment un don précieux n’exercerait-il pas sur l’homme
tout entier son influence fécondante ? La culture acquise, l’expérience, le
succès, l’assurance qui en résultent font le reste. Le chanteur devient un
grand artiste, non par la magie des cachets ou de la publicité, mais parce qu’il
apprend à incarner une grandeur réelle et qui n’est même plus individuelle. Il
se peut que l’homme, derrière le grand artiste, demeure petit… Que nous importe,
après tout ! Fédor Chaliapine, lui, resta moyen.
    Lié à toute l’intelligentsia révolutionnaire, au lendemain
de la révolution vaincue de 1905, ami de Gorki, d’Andréev, de Tchekhov. Et le
tsar vint à une de ses représentations. Chaliapine, ami des révolutionnaires, chanta
pour le tsar. Nicolas II tint à le complimenter. Chaliapine baisa la main à l’autocrate
que la Russie libre appelait Le Pendeur. Le lendemain Maxime Gorki rompait
publiquement avec Chaliapine.
    À la révolution socialiste, Chaliapine n’émigra pas. Je le
vis chanter pour des prolétaires et des paysans en uniforme gris de terre. J’ai
décrit cette scène dans
Ville conquise
[221] . Voici :
    « … Quatre mille hommes remplirent le soir la salle
blanc et or de l’Opéra.
    » Une âcre odeur de terre échauffée monta de leurs rangs
gris vers les déesses blanches de la voûte qui tendaient des guirlandes dans un
bleu enfumé. Quatre mille hommes posèrent sur les appuis des loges et des
balcons des mains de laboureurs de Riazan, de pâtres bashkirs, de pêcheurs du
Nord, de tisserands devenus mitrailleurs ; ces mains frustes ignoraient
les gestes intelligents et délicats ; elles étaient heureuses de ne rien
faire et de posséder enfin, pour un soir, tranquillement, les choses. La scène
éblouissait, avec un bel horizon doré en carton peint. Chaliapine parut, en
frac, ganté de blanc, tel que naguère devant l’Empereur, saluant ce parterre, comme
l’autre (le parterre fusillé), d’une profonde flexion du buste et d’un sourire
de souverain charmeur. Des voix fusèrent dans la salle : “La Trique !
La Trique !” Les chants de la passion sont beaux, sans doute, mais ce qu’elle
aime, l’armée entassée dans cette salle, c’est le Chant de la Trique. On la
connaît, la trique ! Son goût sur l’échine, son goût sur la gueule ; et
aussi le maniement de la trique, les capitalistes en savent quelque chose !
Chante-nous donc ça, camarade, tu connaîtras des bravos comme l’autre salle, celle
qui ne reviendra plus, celle que tu regrettes peut-être au fond de ton âme, l’autre
salle, avec ses décolletés et ses monocles, ne t’en fit jamais entendre ! Des
mains qui ont remué les pierres, la terre, le fumier, les métaux, le feu, le
sang, t’applaudiront ! Et la voix parfaite entonna le Chant de la Trique. Ça,
c’est un chant, frères.
    » Le chanteur reculait dans un rayonnement de sourires
luxueux. “Bis ! Bis !” Il allait revenir sur l’avant-scène et céder
encore à l’enthousiasme de cette foule, quand, derrière un portant de coulisse,
une main simiesque lui happa le bras. “Attends, camarade.” Il rétablit d’une
pichenette le pli de sa manche froissée par la

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