Retour à l'Ouest
hésitations. Sans doute a-t-il escompté la situation politique
internationale pour saisir le moment de jeter un défi à des rois sans couronne.
La concurrence des puissances lui assure aujourd’hui des débouchés. Il a
déclaré accorder ses préférences aux commandes des pays démocratiques. Mais si,
par représailles, la Grande-Bretagne et les États-Unis prenaient des mesures
contre les importations de pétrole mexicain, le Mexique accepterait les
commandes du Japon, de l’Allemagne et de l’Italie. Ce n’est pas, d’autre part, au
moment où Hitler modifie à son gré la carte de l’Europe que des puissances
démocratiques pourraient se permettre, dans l’intérêt de leurs actionnaires, une
démonstration navale devant Veracruz !
Fait remarquable, l’expropriation survient à la suite d’un
conflit entre les ouvriers et les compagnies. Bas salaires, misère et paludisme,
telles paraissent être les causes initiales de la grève qui commença en juin
dernier dans les exploitations de la « Mexican Eagle ». La grève fut
mouvementée ; une commission mixte d’arbitrage donna raison aux ouvriers. Ces
derniers réclamaient une augmentation globale des salaires de 16 millions de
pesos par an. Les compagnies en offraient 13 millions. Une commission
officielle estima qu’elles pouvaient en accorder 26. Le conflit se rouvrit, plus
aigu, après cet arbitrage. Le Syndicat des travailleurs du pétrole occupa les
bureaux et les puits de la « Mexican Eagle » à Tampico.
On est frappé, en suivant les péripéties de cette lutte, de
voir les syndicats successivement appuyés par les commissions d’arbitrage, par
le gouvernement, par les tribunaux. Que ce n’ait pas été sans tergiversations, on
le conçoit. Que de multiples facteurs aient joué, on le conçoit aussi. En
expropriant les compagnies, le gouvernement républicain, s’il accepte de faire
face dans le présent à des difficultés considérables, mobilise en sa faveur l’opinion
des masses et écarte un danger politique. Toutes les tentatives de
contre-révolution, au Mexique, ont plus ou moins bénéficié du soutien des
compagnies pétrolières.
La vie économique du pays dépend de deux problèmes
essentiels : le problème agraire et celui du pétrole. D’ici longtemps, peut-être,
ne leur trouvera-t-on pas de solutions définitives. Toujours est-il qu’une page
de l’histoire du Mexique vient d’être vigoureusement tournée ; et l’on
peut prévoir que ce sera tout à l’avantage de la révolution en cours. L’exemple
des « réformes de structure » nous vient de loin. En est-il moins
valable ?
Depuis 1910 [220] ,
le Mexique continue sa révolution, avec des hauts et des bas, mais, finalement,
plus de hauts que de bas. Révolution agraire, nationale, anticléricale et socialisante.
Le clergé, qui était le plus grand propriétaire foncier du pays, a été exproprié
après des luttes extrêmement sanglantes. Des présidents à pouvoirs dictatoriaux
se sont succédé et plusieurs ont succombé à la tâche. Le Mexique n’est pas devenu
un État totalitaire, en dépit de plusieurs périodes de réaction. Sa législation
ouvrière, ses réformes agraires, partielles mais profondes, les tendances
politiques de son développement en font un des pays les plus avancés d’aujourd’hui.
Il est permis de conclure que, du point de vue des travailleurs, la révolution
mexicaine a été plus féconde, malgré son caractère inachevé, que la révolution
russe. Il n’y a, certes, pas plus de misère au Mexique qu’en URSS, mais la
liberté d’opinion, la liberté individuelle, la liberté syndicale, le droit d’asile
existent à Mexico. Fertile en drames, et même en atrocités, la révolution
mexicaine a été de beaucoup la plus humaine des deux. Elle n’a inventé ni les
exécutions secrètes, ni la pensée dirigée, ni l’imposture judiciaire à grand
spectacle. Menacé par un puissant impérialisme voisin, le Mexique n’est pas
entré dans la voie du militarisme à outrance. Et c’est cet ensemble de résultats
qui lui permet maintenant de continuer son effort, tandis qu’à ses antipodes un
régime bureaucratique totalitaire dévore sous nos yeux les dernières forces
vives d’une autre grande révolution qui fut pourtant magnifiquement socialiste
et magnifiquement victorieuse.
P.-S. On notera que les actions de la « Mexican Eagle »,
cotées 80 francs à la Bourse de Paris avant le décret Cárdenas,
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