Retour à l'Ouest
entrer… Les traits de ce genre abondent dans certaines correspondances ;
d’autres, non moins cruels, abondent dans les récits des rares réfugiés qui
parviennent à franchir les frontières de ce qui fut l’Autriche. Le monde
assiste sans broncher à ce drame odieux. On préfère n’en point parler, commenter
le moins possible. On renonce, pour les mêmes raisons, à décrire les
bombardements de Barcelone ou les massacres des Asturies. On renonce à pénétrer
le mystère des procès de Moscou. On renonce à publier les nouvelles de Chine. C’est
trop de tueries… Qu’est-ce qui passe au cinéma le plus proche, ce soir, dites ?
Un bon film policier, un scénario comiquement idiot, des cuisses à un million
de dollars par mois.
Je ne blâme pas, au fond, l’homme moyen des pays
relativement épargnés – pour quelque temps encore, peut-être – par les
calamités et les atrocités, de rechercher ces évasions faciles. Si quelqu’un
est à blâmer en tout ceci, c’est la presse qui lui ment de cent façons – par
silences, omissions, déformations, la publication de pures contrevérités étant
devenue la forme la plus anodine du mensonge – et le système dont elle procède.
C’est aussi, puisque l’occasion s’en présente, l’industrie corrompue qui, à des
yeux avides, à des âmes assoiffées d’évasion, n’offre que la pitance ingrate et
frelatée des productions à succès publicitaire… Mais tout ceci est secondaire. L’homme
de la rue, réduit à l’impuissance, détourne les yeux des spectacles
désespérants. La foule s’accoutume à écouter d’une oreille distraite, avant les
jazz et le bulletin météorologique, des listes de fusillés, des statistiques de
suicides, des communiqués sur les destructions de villes… Et c’est ainsi que, d’un
pas nonchalant, nous entrons tous au nouveau Moyen Âge. Le prix du sang
continue à tomber sur le marché mondial ; les actes de vérité sont à zéro !
l’acier fait prime sur les consciences – sur celles en tout cas dont on ne fait
pas commerce. Une civilisation s’en va, sans invasions de barbares, parce qu’elle
a ses propres barbares, d’autant plus inconscients et cruels qu’ils sont ses
maîtres – ses maîtres désemparés d’avoir perdu la foi en eux-mêmes, affolés de
sentir la lourde machine sociale se détraquer sous leurs mains, revenus à la dernière
brutalité entre des « sauve-qui-peut ! » – des « malheur
aux vaincus ! » et des « morts aux Juifs ! »
En un quart de siècle, c’est-à-dire en moins de la durée
moyenne d’une vie active, l’Européen d’aujourd’hui a vu la guerre mondiale, des
révolutions victorieuses, des révolutions vaincues, une révolution dégénérée, les
fascismes, la crise économique, le réveil de l’Asie, de nouvelles guerres
coloniales… On comprend qu’il soit las et inquiet. On se souvient qu’il a
beaucoup écopé dans tout ceci. Et pourtant, on voudrait lui crier que ce crépuscule
d’un monde a besoin de lui, besoin de chacun de nous ; que plus les heures
sont noires et plus il faut de fermeté à considérer les choses en face, à les
nommer par leurs noms, à accomplir malgré tout le simple devoir humain. Le seul
fait de prendre conscience d’un mal est le commencement de la victoire sur ce
mal. Le nouveau Moyen Âge, où nous plongent les soubresauts du capitalisme
finissant, nous impose la plus grande lucidité, le plus grand courage, la
solidarité la plus agissante. Aucun péril, aucune amertume ne justifient le
désespoir – car la vie continue et elle aura le dernier mot. Aucune évasion
véritable n’est possible, sauf celle de la vaillance.
Crime et Criminologie *
7-8 mai 1938
Le Dr Allendy publie dans la
collection du
Crapouillot
un
curieux travail d’ensemble sur
Le crime
et les perversions instinctives
, illustré d’excellentes photos
choisies avec ce goût de l’émotion dans le documentaire qui caractérise la
manière de Galtier-Boissière [224] .
On sort de cette lecture avec un sentiment de trouble désolation, après avoir
effleuré toute la misère humaine. L’auteur conclut : « La société
fabrique ses révoltés et ses inadaptés ; elle a exactement les criminels
qu’elle mérite. » C’est dire – et nous le savons depuis longtemps – que la
responsabilité du crime incombe primordialement à la collectivité et que les
criminels sont en réalité des victimes. La pensée socialiste a formulé
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