Retour à l'Ouest
il
reproche de ne point poser dans toute son ampleur le problème de la dictature
du prolétariat. Il se joint à la Fédération des gauches communistes [225] qui, sous les
verrous, publie une revue manuscrite intitulée
Le Bolchevik léniniste
[226] .
Il polémique avec mes vieux amis de Leningrad, Fedor
Dingelstedt et Grigori Iakovine , emprisonnés pour
crime d’opinion depuis 1927 ; il polémique avec Solntsev ,
jeune leader qui va bientôt (en 1936) mourir d’une grève de la faim… Il prend
part à la grande grève de la faim de 1931 qui se termine par un compromis entre
les prisonniers et le Guépéou. À l’expiration de sa peine, on le déporte à
Iénisseïsk, dans le nord sibérien, où il passe deux ans, dans une captivité
atténuée, mais terrible de froid, de privations, d’isolement, de menaces. Il ne
cesse d’exiger, étant étranger, un visa de départ.
En mai 1935, son exil est – toujours par mesure
administrative et, je le répète, pour seul crime d’opinion – prolongé de trois
ans. Alors, le communiste Ciliga envoie au procureur Vychinski une sorte d’ultimatum : « Ou vous me laisserez partir, comme c’est
mon droit strict, ou, n’ayant plus d’autres recours contre une persécution inacceptable,
je me laisserai mourir de faim. » Par bonheur, ceci se passe avant les
grands procès qui vont faire tomber au-dessous de zéro le prix de la vie des
militants.
Le 3 décembre 1935, des agents du Guépéou conduisirent le Dr
Anton Ciliga à la frontière polonaise. « Je laissais derrière moi, écrit-il,
les années les plus dures, les plus riches d’expérience et d’émotion, de toute
ma vie. »
Dix années en URSS, dont cinq en captivité, Anton Ciliga en
a résumé l’expérience extraordinairement riche dans un livre copieux, qui vient
de paraître aux éditions Gallimard :
Au
pays du grand mensonge
[227] .
Je n’aime pas ce titre, bien qu’il soit juste. Je ne l’aime pas parce qu’il
peut suggérer au premier abord l’idée tout à fait fausse d’une œuvre de ressentiment.
Je n’hésite pas à dire que ce livre est le plus substantiel, le plus juste en
pensée, le plus équitable au sens socialiste du mot, d’entre tous les
témoignages récents sur l’URSS. La vérité qu’on y voit est tragique et grandiose
à la fois. Aucune amertume chez l’observateur, mais une passion lucide sans
cesse au service de la cause ouvrière. « On sent partout la pauvreté, la
puissance, le souffle d’un géant qui grandit. C’est un continent nouveau qui s’ouvre
à la vie… Un tel pays, quoi qu’il arrive, ne périra pas… C’est un pays de
jeunesse et de force… La cruauté du pouvoir est compensée, au pôle opposé de la
vie sociale, par une chaude cordialité qui atténue toutes les souffrances… »
Que c’est vrai ! Et que vous avez raison, Ciliga, de le dire dans votre
page d’adieu à l’URSS ! Sans amour profond pour la révolution, qu’y
peut-on comprendre ? Sans courage d’y voir la vérité en face, quel droit
a-t-on d’en parler ? Sans confiance en ce peuple, sans conviction
socialiste, comment peut-on s’imaginer y comprendre quelque chose ?
J’écoutais l’autre soir, dans un café du Quartier latin, Ciliga
parler avec son enthousiasme raisonné de la révolution d’Octobre et du plan
quinquennal, sur lequel, pourtant, il ne cache rien. Et j’étais réconforté de
voir tant de claire intelligence au service d’une pensée si virile. En des
heures sombres, de découragement, de trouble et d’hypocrisie, Anton Ciliga nous
offre un bel exemple et nous apporte un témoignage unique.
De Platon à Lénine *
21-22 mai 1938
Félicien Challaye , philosophe, militant
et, par-dessus tout, homme de bonne volonté, poursuit avec un esprit
scientifique nourri de sérénité une œuvre singulièrement utile. Le pacifiste a
livré au cours d’une vie déjà longue maint combat, dont les derniers, au sein
de la Ligue des Droits de l’Homme, ne manquent ni de grandeur ni de
retentissement. Challaye est de ceux qui ont posé là sous toute son ampleur la
question des procès de Moscou, l’une des plus gênantes pour les consciences
installées aujourd’hui. Le militant s’est rendu en Espagne déchirée pour y
enquêter sur les répressions staliniennes qui ont détruit l’unité du front antifasciste
et compromis – à un degré que l’on mesurera plus tard avec effroi – la cause la
plus juste en soi. Le philosophe vient de
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