Retour à l'Ouest
cette
conclusion dès ses premières recherches. Mais la société qui fabrique le crime
et les criminels avec plus de cruauté encore que d’inconscience n’est pas une
marâtre pour tous ; elle a ses favoris, ses élus, ses privilégiés et de ce
nombre des intellectuels de bonne foi. Le Dr Allendy résume les théories des
criminalistes les plus réputés et, quelquefois, tombe lui-même dans leurs
travers. On voit, dans les formules qu’il cite et jusque dans les exemples qu’il
donne, quelle profonde déformation psychologique est celle du criminaliste
bourgeois, captif en son for intérieur, du régime qu’il sert, qui l’a formé, qui
lui a inculqué ses idées et appris son langage. Le dirai-je ? De grands
savants me paraissent en ces matières raisonner tout aussi faux que, dans la
vie pratique, certains des dégénérés qu’ils étudient. Et du point de vue du
sentiment de la responsabilité sociale, leur attitude a vraiment quelque chose
de criminel. Ils accablent des victimes sans remonter aux causes. La
psychologie ne leur sert pas à éclairer le problème, mais à l’obscurcir, voire
à le rendre insoluble. Ici, une erreur est à la base de la plupart des travaux.
Peut-on détacher le criminel de son ambiance sociale, le considérer isolément ?
D’où viennent ses instincts, ses idées, ses mœurs, d’où vient-il, qui est-il ?
Tout lui vient de la collectivité dont il n’est lui-même qu’un élément d’autant
moins personnalisé qu’il est moins conscient.
M. Durkheim, dans ses
Règles de la méthode sociologique
, tient le crime pour
normal : « Puisqu’il ne peut pas y avoir de société où les individus
ne divergent plus ou moins du type collectif, il est inévitable aussi que parmi
ses divergences il y en ait qui présentent un caractère criminel. » M. Allendy
reprend : « Le crime est lié aux conditions fondamentales de toute
vie sociale ; par là même, il est utile, car ces conditions dont il est
solidaire sont nécessaires à l’évolution normale de la morale et du droit. »
On se doutait un peu, sur un autre plan, qu’il faut des malfaiteurs pour nourrir
les magistrats, les gardiens de prison et quelques autres personnes qui, si
elles n’étaient ainsi nourries, risqueraient de tomber elles-mêmes dans le
crime ! N’empêche que ces théories m’ont l’air détestablement fausses. Il
faudrait, avant de les énoncer, définir le crime. Les conditions de propriété, la
misère et la faim déterminent évidemment les crimes contre la propriété. (En
général, bien qu’il soit toujours soutenable que le vol, par exemple, dans
chaque cas donné ne s’imposait pas avec une inflexible rigueur.) N’est-il pas
évident que la suppression de la misère, du chômage et de la faim, ainsi qu’une
modification du régime de la propriété doivent entraîner la fin de ce déterminisme
élémentaire ? Mais, de même que certains sociologues procèdent d’un
instinct de propriété, beaucoup de criminologistes sont disposés à admettre une
sorte d’instinct du vol, tant ils manquent d’audace dans la pensée.
Ils semblent vouloir fuir la réalité. On connaît l’effroyable
cas Matuska. Bon bourgeois de Vienne, ancien officier décoré pour ses glorieux
services du temps de guerre, Sylvestre Matuska commit
quatre attentats à la dynamite contre des trains rapides, provoquant ainsi
quatre déraillements en Europe centrale, qui laissèrent 22 morts et 160 blessés…
M. Allendy écrit froidement qu’« un événement capital eut lieu dans
la vie de Matuska quand celui-ci avait onze ans… » Ce fut l’arrivée à l’école
du professeur Léo, magnétiseur, invulnérable aux coups de revolver tirés à
blanc, dont le criminel devait se souvenir toute sa vie… Je veux bien qu’une
séance de magnétisme et de prestidigitation puisse faire à un enfant nerveux
une profonde et même fâcheuse impression. Mais j’ai le sentiment que le
psychologue se moque un peu du lecteur (et s’il ne s’en aperçoit pas lui-même
le fait vaut d’être noté) quand il nous explique ainsi la folie du criminel
Matuska qui ne présente par ailleurs aucun mystère véritable. Tout y est d’une
clarté aveuglante. On voit littéralement ce qui a fait de l’homme un maniaque
dangereux, quelles sont les responsabilités sociales, – et que le magnétiseur
Léo n’y est pas pour grand-chose… Sous-lieutenant du génie autrichien pendant
la guerre, Matuska fut
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