Retour à l'Ouest
chargé par ses chefs de faire sauter, à l’arrière de l’ennemi
ou en pays abandonné, avant l’occupation, les ponts, viaducs et ouvrages d’art.
Il en a fait sauter dix et on l’a décoré pour ces hauts-faits. « C’est un
héros de l’explosion. » Nous faut-il une autre explication de son
détraquement du temps de paix ?
Il est facile et probablement scientifique de dire que le
crime est souvent le résultat d’une névrose. Et la névrose d’où vient-elle ?
Que les criminels sont souvent des dégénérés, ce n’est guère contestable. Mais
quelles sont les causes de la dégénérescence ? De statistiques produites
par le Docteur Allendy il résulte que la catégorie sociale des propriétaires et
rentiers est celle qui fournit le moins de criminels. Il résulte aussi qu’un
rapport direct existe entre l’indice des salaires réels et la fréquence du vol ;
de même qu’entre le vagabondage et le chômage… (Mais que le fait d’être sans
gîte ni pain – en état de vagabondage – soit considéré par des civilisés
pourvus, eux, de bons gîtes et de pain beurré, comme un délit, voilà qui
renverse à mon avis toutes les données du problème : car enfin, quels sont
en tout ceci les criminels ?)
Sociologie et psychologie ne sont plus guère séparables
aujourd’hui. La conception théologique du libre-arbitre détachait
arbitrairement l’homme du milieu social pour faire retomber sur lui les
responsabilités des maîtres de la société. Cette conception naïve dépassée, le
problème de la criminalité ne peut plus être abordé scientifiquement que dans
un esprit de transformation sociale. La vérité la plus haute, la plus vraie, la
plus efficace, est celle qui aspire à guérir et non à maintenir les causes du
mal.
Le témoignage d’Anton Ciliga
14-15 mai 1938
Anton Ciliga , membre du bureau politique
du parti communiste yougoslave, mandaté par son parti auprès de l’Internationale
communiste, arriva en 1926 à Moscou. Il admirait la révolution. Il aimait la
Russie. Il comprenait l’œuvre en cours, étant un marxiste instruit. Les
contradictions dans lesquelles le régime se débattait l’amenèrent à se joindre,
en 1928, à l’opposition qui exigeait des mœurs plus démocratiques et, vis-à-vis
des nouveaux riches et des bureaucrates parvenus, une politique plus active. Exclu
du parti pour un an, il collabore néanmoins avec Kirov, à Leningrad, où il
reçoit une chaire d’histoire contemporaine.
La répression de toute activité politique au sein du parti
lui paraît un danger croissant. Avec quelques compatriotes, il forme un petit
groupe d’opposants, forcément clandestin. Arrêté en mai 1930, comme trotskiste,
on le condamne, sans procès bien entendu, par mesure administrative, à trois
années de réclusion et on l’envoie à l’isolateur de Verkhnéouralsk. Il y voit, cheminant
au soleil, les pieds nus sur le sable chaud d’une cour, un homme à cheveux
blancs, voûté, presque un vieillard : il reconnaît Zinovievqu’il a connu à la tête de la III e Internationale, à la tête du pays, à la tête de la dictature du prolétariat… La
prison lui est une étrange et bienfaisante découverte. C’est une oasis de
liberté. Personne ne parle, n’écrit, ne pense tout haut, ne discute dans l’immense
pays ; pas un parti n’existe en dehors du Parti unique, voué à l’obéissance
passive ; pas un groupe, pas un cercle d’études, pas une feuille de chou
disant quelque chose d’autre que les formules officielles… Mais, ici, tous les
partis sont vivants, représentés par des hommes connus, inébranlables et
passionnés, tous les partis poursuivent au grand jour – au grand jour de la
geôle – leur activité intellectuelle, discutent, publient des revues
manuscrites, se subdivisent en tendances. La prison est une sorte d’université
pour les jeunes militants, un laboratoire d’idées pour les vieux ; la
prison concentre énormément d’intelligence, de devoir, de dévouement à la
révolution, de courage civique, de hautes qualités humaines. Anton Ciliga y rencontre
des socialistes dont quinze années de persécutions n’ont pas vaincu la foi en
la démocratie ouvrière ; des anarchistes qu’autant d’années d’épreuves n’ont
ni désarmés ni découragés ; des communistes opposants, enfin, de diverses
nuances, pour la plupart emprisonnés depuis 1928.
Ciliga se sépare des trotskistes orthodoxes, auxquels
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