Retour à l'Ouest
aveuglement,
qui paraît aujourd’hui incroyable et dérisoire, éviter à ce prix la sujétion. Elle
croyait pouvoir maintenir encore ses propres privilèges sociaux sur les ruines
du « marxisme ». Dollfuss a payé. Fey a payé. Schuschnigg est en
train de payer. Et cette lamentable expérience historique montre que la fin des
libertés ouvrières, la répression du socialisme, l’élimination de la classe
ouvrière de la vie politique entraînent inéluctablement le retour à des formes
d’oppression médiévales – ou pires encore.
« Plutôt Ludendorff… »
2-3 juillet 1938
Peu d’hommes eurent, il y a près de vingt ans, le courage
intellectuel de dénoncer le traité de Versailles comme inapplicable en réalité
et préparant à la civilisation européenne, dans un avenir rapproché, d’immenses
dangers. Les peuples n’étaient point consultés. Les gouvernements des
puissances victorieuses dictaient la paix à ceux des puissances vaincues ;
les vainqueurs représentaient, au premier chef, les oligarchies financières et
industrielles de plusieurs nations intéressées à imposer un nouveau partage du
monde. Car la « guerre du droit » fut essentiellement une guerre pour
le partage du monde, c’est-à-dire une guerre de conquête. Du petit nombre de
ceux qui, au moment de la conclusion de la paix, virent clair et dirent simplement
la vérité se trouvaient quelques socialistes, les conducteurs de la révolution
russe et un économiste libéral anglais, M. John Maynard Keynes… Je n’ai
pas rouvert le livre prophétique, en somme, de M. Keynes [239] . Mais je me
souviens, comme d’une grande explication des choses passées et présentes, valable
à toute heure depuis 1918-1919, d’un mot du maréchal Foch, rapporté par M. Keynes.
Il s’agissait des armes que l’on laisserait à l’Allemagne ; la question
était d’importance. Car le régime intérieur de l’Allemagne en dépendait. Réellement
désarmés, les financiers, les gros industriels, les hobereaux, la caste
militaire, l’aristocratie allemande, qui venaient, en tentant de conquérir un
vaste empire colonial et d’imposer leur hégémonie sur le continent européen, d’infliger
au monde une épouvantable saignée, se trouveraient à la merci du peuple
allemand, socialiste dans sa grande majorité. L’Allemagne changerait de régime
social. (Et sans doute, ne serait-elle point seule, car l’Italie était en pleine
effervescence révolutionnaire ; des socialistes gouvernaient l’Autriche…) L’Europe
centrale serait rouge, comme l’était déjà la Russie, avec moins de rigueur dans
les mœurs et dans les doctrines, moins de luttes aussi. Rouge, c’est-à-dire
socialiste, pacifiste, orientée par de nouvelles nécessités économiques et
morales vers les États-Unis d’Europe…
MM. Orlando, Lloyd George, Clemenceau, Woodrow Wilson
voyaient venir ces choses avec un certain effroi. Car, pour ces hommes d’État, la
propriété privée des richesses sociales était l’assise même de la civilisation ;
elle relevait du droit naturel, tout comme, aux yeux des ministres des
monarchies absolues du XVIII e siècle, la royauté relevait du droit
divin et la chute des couronnes signifiait le retour à la barbarie. Plus net
dans sa façon de poser le problème, le maréchal Foch fut d’avis qu’il fallait
laisser à l’Allemagne réactionnaire assez d’armes pour écraser la révolution, c’est-à-dire
maintenir, contre les aspirations des masses, un régime bourgeois.
Il fallait donc laisser aux généraux qui avaient envahi la
Belgique, marché sur Paris, jusqu’à la Marne, occupé la Serbie, conquis la
Pologne, envahi la Roumanie, une armée de cadres dont ils feraient
inéluctablement, plus tard, le premier élément d’une nouvelle puissance
militaire… C’était leur donner délibérément le moyen d’établir, en Europe
centrale, un État réactionnaire qui préparerait la revanche… Foch le savait, mais
il fut catégorique : « Plutôt Ludendorff, dit-il, que Liebknecht »…
Voilà le mot inoubliable. Traduit en clair, il signifie : Tout, même la
guerre indéfiniment continuée, ou recommencée, tout plutôt que le pouvoir aux
masses qui veulent la transformation sociale par la nationalisation des grandes
industries, des transports et des richesses naturelles ! Car enfin, Ludendorff,
c’était déjà – en puissance – Hitler. (On sait, du reste, que Ludendorff a
contribué à former
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